Nous savons tous que les ressources fossiles pour l’énergie s’épuisent et causent de graves dommages au fonctionnement de notre biosphère. Face à un processus malheureusement irréversible, une femme, cheffe d’entreprise, a décidé de changer radicalement son projet professionnel. Partenaire d’Agir pour le Climat, Myriam Maestroni répond à nos questions.

Myriam Maestroni vous êtes une entrepreneuse au service de l’efficacité énergétique. Avec votre entreprise d’économie d’énergie, vous avez accompagné près d’un million de travaux de rénovation énergétique. Nous sommes heureux de vous compter parmi nos soutiens, pouvez-vous nous dire ce qui a motivé votre décision ?

Tout d’abord, je pense important de préciser que je considère l’efficacité énergétique comme le pilier de la transition énergétique, je l’ai longuement exposé dans mon dernier livre Comprendre le nouveau monde de l’énergie. Économiser de l’énergie suppose d’impliquer chaque usager d’hier désormais devenu consomm’acteur. C’est une transformation fondamentale, car le monde de l’énergie a pendant, très longtemps, été pensé dans une logique de supply chain, et, le client était négligé au profit de considérations, techniques ou d’impératifs de sécurité, définis par des experts. Aujourd’hui, à l’heure du digital, le client reprend ses droits et fait radicalement évoluer les règles du jeu. C’est à lui qu’il appartient d’apprendre à mieux gérer sa consommation d’énergie, et de prendre des mesures pour la réduire, et ainsi améliorer son confort, son pouvoir d’achat et abaisser ses émissions de CO2. L’urgence climatique actuelle est telle qu’il me semble impossible de mettre en œuvre des stratégies de transition énergétique sans impliquer ce nouveau consommateur, qu’il faut sensibiliser, informer simplement, convaincre et accompagner dans ses décisions. Bien sûr cela suppose des politiques publiques d’incitation efficaces, ce qui est le cas dans notre pays. Avec le recul de 1 million de travaux de rénovation énergétique nous avons appris à mieux comprendre l’importance de la qualité de la relation et de l’expérience client, avec toute sa finesse. Parmi les subtilités que nous avons analysées on peut dire qu’en matière d’efficacité énergétique l’argent est une condition nécessaire mais pas suffisante. Néanmoins c’est le nerf de la guerre pour accélérer la transition énergétique… par action et par omission… Il faut cesser d’investir indûment pour financer les énergies fossiles, et flécher les investissements vers les énergies renouvelables, les nouvelles technologies de la géo-ingénierie… Tout compte dans cette course contre la montre que nous devons mener. C’est l’esprit du Pacte Finance Climat, que je soutiens au titre de mes activités professionnelles mais également au titre de mon Fonds de Dotation E5T (www.e5t.fr), engagé depuis déjà 10 ans dans la Transition Énergétique.

Après avoir dirigé très jeune des entreprises du pétrole et du gaz, vous avez eu la révélation de la nécessité de la transition énergétique. Quel a été le déclic ?

J’ai beaucoup travaillé sur un modèle de Harvard Business School, -Service Profit Chain- qui m’a ouvert les yeux sur la création de valeur par les intangibles, et m’a permis de m’attaquer à un problème de clients mécontents et peu fidélisés. L’idée centrale consistait à identifier les leviers de croissance organique profitable en allant au-delà de la recherche traditionnelle de la relation qualité-prix. Ce modèle s’appliquait au secteur des services, et j’ai pensé qu’on pouvait l’adapter au monde de l’énergie. On a tous besoin, dans nos économies essoufflées, de comprendre et d’exploiter les ressorts de la relation client, et de son rapport au monde qui commence par la façon de vivre au quotidien. Bref, j’ai démarré en me demandant comment gérer un portefeuille de clients « plus contents plus longtemps », et j’ai découvert qu’au-delà des bateaux, des tuyaux, des compteurs… il y avait des maisons qui sur-consommaient de l’énergie de façon indécente, des logements-passoires énergétiques, et des familles qui devaient récupérer du pouvoir d’achat tout en faisant leur part en matière de lutte contre le changement climatique. C’était un profond changement de paradigme, qui m’a amené à prendre des décisions assez difficiles à expliquer alors… puisque je décidais de renoncer à la Direction Générale d’un grand groupe industriel pour redémarrer de zéro une nouvelle activité. Nous étions une petite dizaine et aujourd’hui nous sommes près de 300 personnes, aux côtés des plus grands industriels de notre pays.

Vous dites que les entreprises ont un réel intérêt à s’engager dans la transition énergétique. Pourquoi ?

Une entreprise ne peut envisager le futur en négligeant un contexte en profonde transformation. Pendant longtemps, l’entreprise avait vocation à produire des résultats et à caler des process visant à garantir une bonne gestion et une qualité de ses produits et de ses services. Aujourd’hui tout cela est également devenu condition nécessaire mais plus suffisante. On ne peut pas envisager qu’une entreprise puisse durer sans prendre en compte les attentes des parties prenantes internes et externes, sans mobiliser l’intelligence collective, celle des hommes et des femmes, au service d’une mission reconnue de tous, et bien sûr, encore moins en faisant fi des nouveaux enjeux dont celui du changement climatique, qui nous a tous surpris par l’intensité et l’accélération des phénomènes – épisodes climatiques, dégâts, coûts… – qui en dérivent. Ce sont de nouvelles règles du jeu. Ne pas les adopter, c’est se mettre hors-jeu. Lorsque le plus important gestionnaire d’actifs au monde, BlackRock, affirme son intention de placer le développement durable au cœur de sa stratégie, on se rend compte, que le message est de plus en plus clair : rares sont les chances de salut si les entreprises ne deviennent pas résilientes et n’adoptent pas des stratégies de nature à répondre aux défis du nouveau paradigme éco-énergétique, étape vers la construction d’un monde post-carbone, et durable.