Dans une tribune au Parisien – Aujourd’hui en France, Jean Jouzel, climatologue, et Pierre Larrouturou, ingénieur agronome et économiste, proposent la création d’une banque du climat et d’un budget européen dédié à la transition écologique.

Jean Jouzel, climatologue, et Pierre Larrouturou, ingénieur agronome et économiste

« Comment concilier justice sociale et sauvegarde du climat ? C’est la grande question que pose la crise actuelle.

Nous le savons tous, la taxe carbone n’aurait pas suffi. La Cour des comptes européenne l’affirme : il faut, pour toute l’Europe, investir plus de 1 000 milliards d’euros chaque année pour gagner la bataille du climat. Il est impossible de faire porter cette charge considérable sur ceux qui n’en ont pas les moyens.

Bonne nouvelle ! Une solution existe, bien plus efficace et plus juste. Des sommes colossales sont disponibles au niveau européen. Prêtes à servir ! En deux ans et demi, la Banque centrale européenne a créé 2500 milliards d’euros pour, en principe, « sauver la croissance ». Pour l’essentiel, cet argent a servi à alimenter la spéculation. Il suffirait de réorienter ne serait-ce que la moitié de cette création monétaire pour assurer la transition énergétique et limiter les conséquences d’une nouvelle crise financière…

Pour répondre à l’urgence, nous proposons de créer deux instruments très puissants : une banque du climat et un budget européen dédié. En 1989, quand le mur de Berlin est tombé, en six mois, Helmut Kohl et François Mitterrand ont mis en place une banque pour financer la transition dans les pays de l’Est. Pourquoi ne pas créer une banque du climat qui aurait pour mission de financer la transition écologique sur tous nos territoires ? Chaque pays disposerait d’une enveloppe de prêt à taux zéro correspondant à 2 % de son PIB. Chaque année, la France pourrait investir 45 milliards d’euros dans la transition écologique.

Nous savons tous aussi que jamais les bénéfices des entreprises n’ont été aussi importants mais que l’impôt sur ces bénéfices a été divisé par deux en Europe en quelques décennies, passant de 45 % à 19 %. Comment s’étonner qu’un grand nombre de citoyens demandent un partage plus juste de l’effort ? Pourquoi ne pas mettre à contribution ces bénéfices au profit du climat et de la justice sociale, en demandant une petite contribution aux actionnaires ?

Avec les deux instruments proposés, la lutte contre le dérèglement climatique cesserait d’être une utopie pour devenir une réalité et créerait entre 600 000 et 900 000 emplois en France, 6 millions en Europe. Des emplois utiles, durables et non délocalisables qui permettraient de lutter contre le désespoir que provoquent, dans nos pays, le chômage et la précarité.

Le projet de « pacte finance-climat » est ambitieux et réaliste. Il a reçu le soutien de plus de 500 personnalités venues de 12 pays. Il est temps que toutes celles et ceux qui sont force de proposition (politiques, syndicales, associatives, expertes, citoyennes) se mettent autour de la table pour faire converger leurs solutions et que nous soyons, ensemble, à la hauteur de l’attente et des exigences de nos concitoyens.

Combien de temps encore allons-nous entretenir un système qui creuse les inégalités, ne réduit pas le chômage et génère des bulles spéculatives toujours plus dangereuses ? Combien de temps encore allons-nous observer les dégâts d’une finance à ce point déconnectée des enjeux humains réels ? Combien de temps encore allons-nous regarder l’Europe se disloquer, sans projet fédérateur ?

Pour nous, l’Europe peut « sauver le climat ». Et le climat peut sauver l’Europe. Mettre la finance au service du climat et de l’emploi, voilà LA solution. Une solution scandaleusement simple. Un pacte entre la finance et le climat, pour rattraper le temps perdu, concilier sauvegarde de notre planète et justice sociale. Et assurer, pendant les 30 prochaines années, un financement à hauteur des enjeux. Pour éviter un effondrement de notre civilisation.