Cédric Ringenbach est ingénieur, diplômé de l’École Centrale de Nantes. De 2010 à 2016, il a dirigé The Shift Project, think tank de la transition carbone. Il enseigne depuis 2010 les problématiques énergie-climat dans l’enseignement supérieur (Sup’aéro, Écoles Centrales, Sciences Po, HEC) ainsi que lors de conférences. Il a rejoint les Climate Reality Leaders en 2013 à Istanbul. Cédric a créé La Fresque du Climat en 2015 sur la base des rapports du GIEC et il s’emploie à la diffuser depuis fin 2017. Nous lui avons posé 3 questions.
En 2017, vous avez cofondé La Fresque du climat, un outil de sensibilisation aux enjeux climatiques bien connus de tous ceux qui se sont penchés sur le sujet. D’où est venue l’idée, et quels ont été les principaux défis lors des premières années ?
En 2015, alors que j’animais une formation sur le climat, j’ai tenté quelque chose d’inédit. Plutôt que d’expliquer moi-même les liens entre les phénomènes, j’ai distribué mes slides en désordre et demandé aux participants de les relier selon les causes et les effets. Ce que j’ai observé m’a marqué : ils tâtonnaient, débattaient, argumentaient, riaient parfois, se corrigeaient souvent. Ce n’était plus un cours, c’était une construction collective de savoirs. Et c’était puissant.
Cette graine a mis quelques années à germer. En 2018, je propose cet atelier à 900 étudiants du Pôle Universitaire Léonard de Vinci. L’impact est immédiat. Les retours enthousiastes confirment que ce format ludique et rigoureux touche juste. C’est le déclic : La Fresque du Climat est née, et l’association est créée la même année pour porter ce qui devient un véritable mouvement.
Très vite, le succès nous dépasse. Le nombre de participants et d’animateurs explose. Il faut structurer sans freiner. Nous nous inspirons alors du modèle Swarmwise, élaboré par le Parti Pirate suédois : une organisation fluide, décentralisée, qui mise sur l’autonomie, la confiance et l’intelligence collective. C’est ce qui a permis à La Fresque de grandir vite, sans perdre son âme.
Aujourd’hui, La Fresque du climat compte plus de 2 millions de participants dans 167 pays et est traduite dans plus de 45 langues. Quels ont été les grands jalons pour arriver à ce résultat ? Pensez-vous que La Fresque a réussi sa mission de sensibiliser et éduquer au fonctionnement de la crise climatique ?
Quand nous avons lancé La Fresque du Climat, nous nous étions fixé un objectif ambitieux : atteindre un million de participants. À l’époque, c’était un cap symbolique, presque irréaliste. Et pourtant, en l’espace de quelques années, ce chiffre a été dépassé, puis doublé. Aujourd’hui, plus de deux millions de personnes ont participé à un atelier, dans 167 pays et en plus de 45 langues. Ce succès, nous le devons à l’énergie incroyable de milliers de bénévoles, à la force du bouche-à-oreille, et à une méthode rigoureuse mais accessible, qui parle à tous les publics.
Parmi les jalons marquants : la diffusion massive dans l’enseignement supérieur dès 2019, l’adhésion rapide d’entreprises et de collectivités, et surtout la mobilisation de communautés locales dans le monde entier. Ce sont elles qui ont traduit, adapté, diffusé l’outil, souvent sans moyens mais avec une conviction immense.
Mais est-ce suffisant ? Non. Deux millions, c’est beaucoup… et très peu à l’échelle mondiale. La Fresque a prouvé qu’elle pouvait éveiller les consciences. Mais pour éduquer en profondeur, à très grande échelle, nous devons changer de dimension. C’est tout l’enjeu des prochaines années : créer des Entités Nationales autonomes, dans chaque pays, capables de relayer notre mission avec leurs propres moyens et leur propre gouvernance. Ce n’est que le début.
Votre activité est maintenant dédiée à l’entreprise de conseil Blue Choice, qui accompagne les entreprises dans la transition. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Blue Choice travaille sur la sensibilisation aux enjeux climatiques avec La Fresque du Climat et quelques autres ateliers. Nous avons, par exemple, réuni un consortium d’une dizaine de cabinets de conseil pour concevoir des ateliers sur la base du Plan de Transformation de l’Économie Française (PTEF) du Shift Project. Je suis, en effet, convaincu qu’il faut impérativement apporter le contenu de ce rapport à la connaissance des décideurs économiques. Il faut qu’ils puissent se donner confiance mutuellement qu’on va collectivement aller dans cette direction. Cela facilitera, le moment venu, les prises de décision des hommes et femmes politiques pour mettre en place une politique climatique au bon niveau d’ambition.
Blue Choice s’est surtout spécialisé sur les risques et les opportunités de transition. Nous posons aux entreprises la question de savoir ce qui va leur arriver dans l’hypothèse où la transition écologique a lieu.
Cela est différent des risques physiques (l’impact du changement climatique sur leur activité) et des plans de décarbonation (limiter l’impact de l’entreprise sur le changement climatique). Cela a à voir avec l’anticipation des conséquences des futures potentielles réglementations climatiques. La difficulté avec ce type de risques, c’est qu’on ne peut pas quantifier la probabilité que telle ou telle loi entre en vigueur ou que le prix du carbone atteigne tel ou tel niveau avant telle date. C’est la raison pour laquelle nous proposons une approche qui semble se distinguer fortement de celle de nos confrères. C’est un sujet vraiment émergent et nous avons le sentiment de défricher un territoire encore vierge.