Questions – Réponses

Cadrage macro-économique

QUELS SONT LES OBJECTIFS PRINCIPAUX DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ?

Les stratégies de l’Union européenne ou de la France en matière de transition écologique convergent sur trois objectifs majeurs : la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et la réduction de la consommation d’énergie. L’objectif de long terme de neutralité carbone en 2050 constitue l’horizon souhaitable de ces trois canaux complémentaires de politiques publiques.

QUELS BESOINS DE FINANCEMENT DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ?

Les besoins sont doubles. Il faut à la fois obtenir des investissements publics et privés additionnels pour combler le déficit de financement en fonction des besoins identifiés et réorienter une partie des investissements existants dans les secteurs concernés (notamment ceux destinés à la subvention des énergies fossiles, estimés à 112 milliards d’euros par an dans l’Union européenne selon le Réseau Action Climat).

En volume, les investissements additionnels se comptent en centaines de milliards à l’échelle européenne. Une des estimations les plus globales a été effectuée par la Cour des comptes européenne dans son rapport L’action de l’UE dans le domaine de l’énergie et du changement climatique (2017, §132) :

En pratique, on constate une déconnexion entre les programmations issues des stratégies nationales d’adaptation et d’atténuation du changement climatique et les capacités de financement effectivement dégagées sur les marchés.

Au niveau français, le graphique ci-dessous illustre les écarts entre les ambitions de la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) et de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et les investissements recensés (issu du document Déployer la transition écologique en France grâce au Pacte Finance-Climat, 2019).

Au-delà des faiblesses de la traduction financière des programmations politiques, le financement de la transition écologique souffre de contraintes structurelles sur le marché bancaire. La politique des banques d’investissement étant principalement dirigée vers des objectifs de rentabilité de court terme, les projets relatifs à la transition sont confrontés à une « falaise financière ». Les délais internes de rentabilité de ce type d’investissements constituent une entrave à un financement privé. Ce constat est notamment précisé par la Cour des comptes européenne.

[La difficulté de prévoir les coûts de l’adaptation et les bénéfices probables des investissements dans l’adaptation se traduit par] des difficultés sur le plan des méthodes traditionnelles d’audit de rentabilité, d’analyse coûts-avantages et de contrôle de la performance.

L’adaptation nécessite une planification et des décisions à long terme concernant les infrastructures majeures, telles que les installations d’approvisionnement en eau, les systèmes d’irrigation et les dispositifs de protection contre les crues. En l’absence des mesures incitatives appropriées, les forces du marché et les analyses coûts-avantages conventionnelles pourraient ne pas conduire aux investissements optimaux pour de telles mesures d’adaptation à long terme. (L’action de l’UE dans le domaine de l’énergie et du changement climatique, Cour des comptes européenne, 2017, §220)

Dans un rapport de 2012, la Cour constatait que les délais de récupération des investissements consacrés à l’efficacité énergétique dans le cadre de la politique de cohésion de l’UE atteignaient en moyenne 50 ans, voire 150 ans dans certains cas. (in Rentabilité des investissements consacrés à l’efficacité énergétique dans le cadre de la politique de cohésion, Cour des comptes européenne, 2012).

De surcroît, la mise en place de mesures de régulation financière après 2010 fragilise indirectement le financement de la transition écologique. Les mesures visant à renforcer la résilience du système bancaire (augmentation des fonds propres et de liquidités) ont paradoxalement pénalisé l’émission de prêts à maturité longue.

Face à ces défaillances de marché, il est impératif de trouver de nouvelles voies de financements de long terme.

COMMENT LE PACTE PALLIET- IL LE SOUS-FINANCEMENT DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ?

Le Pacte est un instrument qui articule le court terme et le moyen terme.

Les publications des scientifiques exhortent les États à adopter des mesures urgentes afin d’éviter l’irréversibilité des conséquences du changement climatique.

Cette exigence de court terme est desservie par l’inadéquation des outils financiers disponibles.

Le Pacte permet de mobiliser les capitaux nécessaires à grande échelle, à faible coût, via l’intermédiation avec les marchés de capitaux (la Banque) et permet de subventionner les politiques de lutte contre le changement climatique (le Fonds). Le Pacte combine l’urgence de
la mobilisation massive de capitaux et la nécessité de visibilité sur le long terme. Son adoption favoriserait un amorçage financier à la hauteur des enjeux.

POURQUOI NE PAS « VERDIR » LE BUDGET EUROPÉEN ET LA BANQUE EUROPÉENNE D’INVESTISSEMENT (BEI) PLUTÔT QU’AJOUTER DE NOUVELLES DÉPENSES ET DE NOUVEAUX PRÊTS PUBLICS ?

Aujourd’hui, environ 20 % du budget européen et 30 % des prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI) vont au climat.

Augmenter ces pourcentages serait évidemment une bonne chose, mais resterait très insuffisant. Même si l’intégralité du budget européen (autour de 180 milliards d’euros par an) et des prêts de la BEI (autour de 80 milliards d’euros par an) était consacrée à la transition écologique (ce que personne n’envisage, d’autres politiques devant être financées), nous n’atteindrions pas les 1 115 milliards d’euros de financements verts annuels (environ 7 % du PIB européen) que la Cour des comptes européenne juge nécessaires pour tenir nos objectifs climatiques. Il faut augmenter le budget et massifier les prêts.

QUELLE EST LA VALEUR DU TEXTE DU PACTE FINANCE-CLIMAT PRÉSENTÉ LE 19 FÉVRIER 2019 ?

Ce texte constitue une base de négociation pour les États membres et les institutions de l’Union européenne. Sa rédaction par des juristes en février 2019 reflète des partis pris qui n’ont que valeur d’exemples. Le texte publié n’a d’autre vocation que d’illustrer la vraisemblance d’un tel acte juridique.

Le modèle retenu est le processus qui a mené à la présentation par la France aux Nations Unies d’un projet de Pacte mondial pour l’environnement en 2017. Rédigé par la Commission environnement du Club des juristes et un groupe d’experts internationaux consultés par le Président du Conseil constitutionnel, il a été formellement présenté à la Sorbonne au Président de la République le 24 juin 2017. Lors de l’Assemblée générale des Nations Unies au mois de septembre qui a suivi, Emmanuel Macron a porté une proposition formelle en faveur de l’adoption du Pacte mondial pour l’environnement. Cette initiative a ensuite prospéré dans les institutions onusiennes. L’ONU Environnement (ancien Programme des Nations Unies pour l’Environnement) organise, à l’heure de la rédaction de la présente note (mai 2019), des négociations entre États membres visant à faire de cette initiative française un traité international. Dans une démarche européenne et non internationale, les acteurs du Pacte Finance-Climat ont souhaité reproduire ce processus en rédigeant un projet de texte appelé à être présenté au Conseil européen par un ou plusieurs États membres.

Les choix opérés par les rédacteurs du Pacte Finance-Climat ne sont pas figés. Pour davantage de clarté sur les partis pris du texte, il a été décidé que les articles et les chiffrages faisant l’objet d’arbitrages en interne soient mis entre crochets. Ainsi, le lecteur averti pourra repérer ce qui a été décidé, tout en gardant à l’esprit que les choix effectués ne sont qu’indicatifs et pourront parfaitement être amendés en fonction des orientations des négociateurs d’un Pacte Finance-Climat.

La Banque du Climat et de la Biodiversité

QUELLES VOIES POUR CRÉER LA BANQUE EUROPÉENNE DU CLIMAT ET DE LA BIODIVERSITÉ ?

Les rédacteurs avaient le choix de fonder cette structure au sein de plusieurs cadres institutionnels. Si telle Banque peut potentiellement être accueillie au sein de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), d’un autre groupe, ou faire l’objet d’une création ad-hoc, les rédacteurs du Pacte Finance- Climat ont choisi d’en faire une filiale du groupe de la Banque européenne d’investissement (BEI), fondée en 1958.

Ce parti pris n’est pas figé. Il se fonde sur un calcul d’opportunité. Constituer une filiale de la BEI présente l’avantage de se reposer sur un précédent, la création du Fonds européen d’investissement en 1994 pour soutenir les petites et moyennes entreprises.

L’article 28 du Protocole (n° 5) au Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit la possibilité pour la BEI de créer une telle filiale, sur décision unanime de son Conseil des Gouverneurs (les ministres des Finances des États membres de la Zone euro). Cette structure sera dotée de la personnalité juridique et d’une autonomie financière.

Il est néanmoins tout à fait envisageable d’utiliser la BEI elle-même, dont 30 % environ des investissements annuels vont déjà au climat, pour octroyer ces financements verts supplémentaires massifs à condition de créer en son sein une « business unit », pour avoir une visibilité claire sur l’exécution de la stratégie, recruter des experts et constituer des équipes.

LA CRÉATION DE LA BANQUE SERAIT-ELLE COMPROMISE EN CAS D’ÉTAT MEMBRE RÉFRACTAIRE AU SEIN DU CONSEIL DES GOUVERNEURS DE LA BEI ?

Nous prenons le pari politique que chaque État trouvera son intérêt à voter la création de la Banque. Les États membres de l’Union financent en partie leurs politiques budgétaires sur les marchés financiers. L’intérêt de constituer une telle banque publique est d’offrir à chacun d’entre eux des conditions de financement privilégiées par rapport aux taux du marché.

La crise des dettes souveraines de 2010-2011 a montré la volatilité des taux d’intérêts appliqués par les banques privées aux États les plus endettés. Certains pays d’Europe du Sud connaissaient des taux dépassant les 10 points, alors que d’autres États profitaient
de coûts de financement proches de zéro. Profiter d’une garantie publique sur l’emprunt destiné à des dépenses favorisant la transition écologique est donc un moyen indirect de contournement

QUELS TYPES D’OPÉRATIONS LA BANQUE SERAIT-ELLE AMENÉE À EFFECTUER ?

Les activités de la Banque européenne du climat et de la biodiversité sont précisées à l’article 3 de ses Statuts : elle offre « des financements, en particulier sous forme de prêts, de garanties, de participations dans des fonds d’actions ou directement dans les fonds propres d’entités ad hoc, et d’autres obligations financières, sous quelque forme légalement admissible, à ses membres ou à des entreprises privées ou publiques. »

L’ENDETTEMENT DES ÉTATS N’ESTIL PAS DÉJÀ TROP ÉLEVÉ ?

Le niveau optimal d’endettement des États fait l’objet de beaucoup de controverses entre économistes. En pratique, elle varie fortement entre les États de l’Union européenne (de 8 % en Estonie à 179 % en Grèce). L’apport majeur de la Banque européenne du climat et de la biodiversité est contenu dans l’article 15.2 de ses Statuts :

La BECB effectue ses investissements en titres de créance éligibles et en capital à des conditions privilégiées, en fonction des conditions du marché ou, si elle est spécifiquement financée par des subventions, à taux zéro. Les opérations de la BECB doivent assurer sa viabilité financière de manière à obtenir et conserver la notation de crédit la plus élevée possible.

La BECB cumule garantie publique et conditions privilégiées de crédit. En clair, les États s’y financent pour moins cher que sur les marchés financiers « privés » et la Banque ne peut faire défaut. Les membres de la BECB sont la BEI, l’UE représenté par la Commission européenne et les États membres de l’UE (article 5.1). Les actionnaires de la BECB sont ses membres et les personnes morales du secteur financier dont les objectifs sont compatibles avec ses propres missions (article 2 : L’objet de la BECB est de favoriser la transition vers une économie à haute efficacité énergétique et sobre en carbone tout en protégeant la biodiversité dans l’Union européenne, par la mobilisation des fonds nécessaires aux stratégies d’atténuation du changement climatique). Cela évitera que les prêts autorisés par la BECB ne soient détournés de leur visée initiale.

La dette ne sera pas portée, loin s’en faut, par la seule puissance publique : les prêts de la BECB seront aussi destinés aux entreprises et aux ménages, acteurs centraux de la transition écologique. Et lorsque les États et les collectivités territoriales emprunteront, ce sera pour financer des dépenses d’investissement, à distinguer des dépenses courantes dans le calcul de leur déficit budgétaire.

POURQUOI FINANCER LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ESSENTIELLEMENT PAR DE LA DETTE (VIA DES EMPRUNTS À TAUX PRIVILÉGIÉ AUPRÈS LA BECB) PLUTÔT QUE PAR DES PRÉLÈVEMENTS ?

La dette permet de financer des projets rentables, quand un budget – provisionné – doit être employé au financement de projets non rentables, mais nécessaires pour atteindre nos objectifs en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Or la plupart des dépenses relatives à la transition écologique rapporteront. Les faits le montrent déjà : les financements verts de la Banque européenne d’investissement (BEI), de la KfW (banque de développement allemande), de la Banque publique d’investissement (BPI), mais aussi de
la BNP Paribas, d’ING, sont rentables. Et leurs rendements sont souvent comparables à ceux des investissements traditionnels.

COMMENT DISTINGUER CE QUI, DANS LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE, SERA RENTABLE DE CE QUI NE LE SERA PAS ?

Ce n’est pas toujours facile et les différents acteurs économiques emprunteront parfois pour financer des projets qui s’avéreront non rentables. L’investissement dans les énergies renouvelables, moyen déjà le plus compétitif pour produire de l’énergie sur cette
planète, est, par exemple, un investissement sûr. Mais il faudra aussi prendre des risques, quitte à ce que la puissance publique se porte garante d’entreprises qui se lanceront dans des projets dont la rentabilité est plus incertaine : ce que les États ont fait à l’époque de la construction des chemins de fer. Ces incertitudes, inévitables dans un monde qui se recomposera, pèsent peu au regard de la certitude du péril environnemental et de son impact systémique. Au fur et à mesure de la transition, ce qui n’était pas rentable à un moment du processus pourra le devenir par la suite.

COMMENT S’ASSURER QUE LES ACTIVITÉS DE LA BANQUE FINANCENT EFFECTIVEMENT LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ?

Le projet de statuts de la BECB arrête une définition très stricte de l’objet de ses activités :

L’objet de la BECB est de favoriser la transition vers une économie à haute efficacité énergétique et sobre en carbone tout en protégeant la biodiversité dans l’Union européenne, par la mobilisation des fonds nécessaires aux stratégies d’atténuation du changement climatique (article 2.1 des Statuts de la Banque européenne du climat et de la biodiversité).

À cet objet s’ajoute une référence explicite aux objectifs environnementaux de l’UE (préservation, protection et amélioration de la qualité de l’environnement ; protection de la santé des personnes ; utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles…) : « La BECB a pour mission de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union européenne, en particulier ceux énoncés à l’article 191(1) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. » (article 3 des Statuts).

S’appuyant sur l’expertise déjà confirmée de la Banque européenne d’investissement en matière d’investissements verts, la BECB a un rôle de conseil auprès des destinataires de ses instruments financiers, notamment du point de vue de la viabilité technique et économique
des projets qui lui seront soumis. Les statuts prévoient un département de conseil au sein de sa structure pour faire valoir cette expertise (article 3.4 des Statuts).

Enfin, l’article 12 des Statuts présente une typologie très précise des projets appelés à être financés, tels que l’isolation des bâtiments, les transports propres, le développement de l’agroécologie ou la conservation de la biodiversité.

LE DÉVELOPPEMENT DE LA FINANCE VERTE INTERNATIONALE NE SERAIT-ELLE PAS PLUS EFFICACE QUE CETTE BANQUE ?

La France fait partie des États précurseurs en matière d’émission d’obligations vertes. Cependant, les produits financiers destinés à financer la transition écologique ne peuvent pas être considérés comme assez mûrs et assez répandus pour faire face aux besoins à court terme. Au seul niveau européen, les directives réglementant les secteurs bancaire (« CRD IV ») et de l’assurance (« Solvabilité II ») n’offrent pas de définition de produits dits « verts » ou « bruns ». En termes techniques, la finance verte souffre de l’absence d’une véritable taxonomie. À ce jour, la Commission européenne a adopté une approche plutôt active en la matière, en vue d’une réforme des directives mentionnées. Le principal défi est de parvenir à une définition satisfaisante des investissements dits « bruns », notamment ceux dirigés vers l’énergie nucléaire, dans un contexte de pression des groupes d’intérêts du secteur.

DANS UN CONTEXTE DE FORTE LIQUIDITÉ OÙ LES TAUX SONT TRÈS BAS, QUELLE EST L’UTILITÉ D’UNE BANQUE PUBLIQUE PAR RAPPORT AUX BANQUES PRIVÉES ?

Nous vivons dans une économie carbonée, où l’essentiel des financements ne va pas à ce qui est vert. La situation exige d’agir vite et fort, l’inertie des banques privées est trop grande. Les banques publiques de développement ont un effet « signal », de par leur actionnariat (les États) ou leur notation (triple A), et d’« entraînement », grâce aux mécanismes de cofinancement et de garanties. La BECB constituera un instrument puissant pour flécher l’argent vers la transition écologique et réorienter la finance vers une économie durable. D’abord, parce qu’elle lèvera de la dette sur les marchés financiers. Ensuite, parce qu’elle déclenchera des financements privés. La BEI, par exemple, a un effet multiplicateur de 3 : pour1 prêt qu’elle accorde, 3 le sont par des banques privées.

Par ailleurs, une banque publique européenne permettra à chaque État de l’Union de se financer dans les mêmes conditions privilégiées. Les taux auxquels les pays empruntent actuellement sur les marchés sont très bas et devraient le rester, mais il existe des différences sensibles entre les pays du Nord de l’Europe et ceux du Sud. Les prêts accordés par la BECB mettraient tous les pays de l’UE sur un pied d’égalité pour financer la transition écologique.

COMMENT S’ASSURER QUE LES BANQUES DE DÉTAILS RELAIERONT LES PRÊTS DE LA BECB AUPRÈS DES MÉNAGES ET DES ENTREPRISES ?

Si les banques de détail y trouvent leur intérêt, elles suivront. Il faut établir un modèle qui leur permette de faire une marge après couverture des coûts opérationnels (traitement de centaines de milliers de dossiers, largement opéré par robots) et du risque de crédit.

QUELLE EST L’AMPLEUR DES CAPITAUX QUE LA BANQUE POURRAIT ENGAGER ?

Il a été volontairement décidé d’attribuer un faible capital de départ à la BECB (4,5 milliards d’euros) pour des raisons d’acceptabilité politique unanime par le Conseil des États membres. Ce capital devra nécessairement être rehaussé, si l’on veut atteindre l’objectif annoncé par les concepteurs du Pacte Finance-Climat qui, en lien avec les préconisations du rapport de N. Stern sur les coûts du changement climatique (Stern Review of Economics, 2006), devraient atteindre l’équivalent de 2 points de PIB de chaque État. Par conséquent, les capacités de prêts de la Banque sont indexées à un capital de départ engagé par les États membres.

L’enjeu central est que les États dotent la banque d’un capital conséquent, de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards d’euros, pour qu’elle soit en mesure, chaque année, d’accorder aux différents acteurs économiques des prêts à hauteur des besoins que réclame la transition écologique. On peut imaginer, sur la base des banques de développement existantes, que son effet de levier sur nouveaux financements serait de 3 : tous les ans, elle pourrait lever une dette 3 fois supérieure à ses fonds propres pour octroyer ses prêts.

QUELLES PISTES D’AMÉLIORATION DU PROJET DE STATUTS DE LA BANQUE ?

Il a été décidé de ne pas laisser place explicitement au rôle de la Banque centrale européenne (BCE) dans la montée en capital de la BECB.

Ce projet s’est gardé d’ajouter une prise de participations préférentielle et gratuite, au moyen de la création monétaire, par la BCE dans la BECB. Ce projet n’évoque pas non plus la possibilité que la BCE s’engage à acheter plusieurs centaines de milliards d’euros d’obligations de cette nouvelle banque à taux faibles.

Une plus ample implication de la BCE serait pertinente, dans les limites de son indépendance.

POURQUOI LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE (BCE) NE FINANCERAIT-ELLE PAS ELLE-MÊME LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE EN EUROPE ? POURQUOI NE LANCERAIT-ELLE PAS UN « GREEN QUANTITATIVE EASING » ?

La mission principale de la BCE est de stabiliser les prix, légèrement en dessous d’une inflation à 2 %.

Lorsque l’inflation est trop faible et que, après avoir abaissé ses taux, la BCE n’est pas parvenue à faire repartir les prix à la hausse, elle peut recourir à une politique monétaire non-conventionnelle, le quantitative easing (QE), qui consiste à injecter des liquidités dans les banques en rachetant une partie des obligations qu’elles détiennent (très majoritairement des obligations souveraines, c’est-à-dire des dettes d’États).

Lorsque les prix repartent à la hausse et que le danger déflationniste est écarté, la BCE ne peut pas continuer à « faire tourner la planche à billets », qui entraînerait une destruction de l’épargne des Européens. Elle a ainsi mis un terme à son QE en fin d’année dernière, après avoir créé, entre mars 2015 et décembre 2018, 2 600 milliards d’euros (soit un peu moins de 700 Mds€/an). Elle ne saurait prendre en charge dans la durée le financement de la transition écologique, quelle que soit
l’inflation.

On peut souhaiter néanmoins – elle est indépendante – qu’elle accompagne la transition écologique dans le cadre de sa mission de stabilité des prix.

Ainsi, plutôt que d’intervenir de manière neutre, en respectant les équilibres d’un marché carboné, la BCE pourrait privilégier le rachat d’obligations vertes auprès de la Banque européenne du climat et de la biodiversité lorsqu’elle décidera de relancer un QE. Le marché, qui ne tient pas compte des externalités environnementales, positives et négatives, est aujourd’hui déficient. La BCE pourrait contribuer à corriger ce biais en prenant une part d’actifs verts supérieure à ce qu’elle n’est sur le marché.

Le raisonnement vaut également dans le cas d’une réallocation des sommes créées par la BCE qui lui reviennent lorsque les obligations arrivent à maturité. Cette année, la BCE a décidé de réallouer 200 milliards d’euros.

Dans un même esprit, la BCE pourrait verdir sa politique de collatéral, en appliquant une décote minorée aux actifs verts qu’elle prend comme garanties auprès des banques à qui elle accorde des prêts.

LA CRÉATION DE CETTE BANQUE NE REPRODUIT-ELLE PAS LES SCHÉMAS DE MESURES PAR LE HAUT, DITES « TOP-DOWN », ALORS QUE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE NÉCESSITE L’IMPLICATION DE CHACUN ?

Pour la première fois, la société civile est associée dans la gouvernance d’un établissement public de crédit de cette dimension. Un Comité stratégique est créé à cet effet. Ce sera un organe consultatif, composé de représentants d’ONG, de scientifiques, de membres
du Comité européen des régions et du Conseil économique, social et environnemental européen. Ce comité sera amené à se prononcer sur les opérations menées et à émettre des recommandations à chaque niveau de décision (articles 27 et 28 des Statuts).

Des mesures de contrôle interne et externe sont également envisagées. Les statuts prévoient que le Conseil d’administration rende un rapport annuel sur les opérations de la Banque (article 22). Un rapport annuel d’audit d’experts indépendants notamment nommés par le Comité stratégique est également prévu (article 31).

Le fonds européen Climat et Biodiversité

POURQUOI UN FONDS DE 100 MILLIARDS D’EUROS PAR AN ? COMMENT SE DISTINGUE-T-IL DE LA BANQUE ?

Financer la transition écologique par la dette seule ne suffira pas : toutes les dépenses nécessaires ne seront pas rentables, le retour sur investissement trop long de certaines opérations, comme la construction d’infrastructures ou la rénovation thermique, ne peut pas être supporté par tous les acteurs économiques, la puissance publique devra aller au secours de projets qui n’auront pas trouvé leur rentabilité, etc.

Cet objectif de 100 milliards d’euros a été arrêté par les concepteurs du Pacte comme étant un montant satisfaisant sur lequel fonder un budget climat et biodiversité européen destiné à subventionner la transition écologique en Europe. Contrairement aux opérations de la Banque, le Fonds ne prêtera pas de l’argent aux États. Sur le modèle des fonds structurels de l’UE déjà opérants, il cofinancera avec les États membres des politiques destinées à la transition écologique. Le Fonds est un instrument de subventions publiques européennes.

COMMENT ABONDER LE FONDS EUROPÉEN CLIMAT ET BIODIVERSITÉ DE 100 MILLIARDS D’EUROS PAR AN ?

Le Pacte Finance-Climat repose sur une contribution climat progressive exprimée en ces termes dans le projet de Fonds européen climat et biodiversité :

L’outil principal pour financer le Fonds est une contribution climat des entreprises, allant de [1 % à 5 %] du montant des bénéfices avant impôt. Les petites [et moyennes] entreprises, employant moins de [250] salariés et ayant un chiffre d’affaires annuel en dessous de [50 millions d’euros ou un bilan annuel en dessous de 43 millions d’euros], sont exonérées du paiement de cette contribution climat (article 8.1 du Traité créant le Fonds européen pour le climat et la biodiversité).

Cet impôt progressif varie selon le bilan carbone de chaque entreprise assujettie. La variation du taux appliqué dépend du bilan carbone qu’elle déclare. Ce bilan carbone est obligatoire depuis la directive 2014/95/UE sur la publication d’informations non-financières. Une entreprise qui se donnerait les moyens de diminuer son bilan carbone verrait diminuer sa contribution au Fonds européen climat et biodiversité. Il est à noter que l’appropriation de cette obligation de « reporting non-financier » par les entreprises européennes n’est à ce jour pas satisfaisant. La mise en place de cette contribution serait l’occasion de consolider sa mise en œuvre dans chaque État membre, par exemple en confiant le respect de ses modalités à une agence dédiée ou existante.

Les rédacteurs ont prévu que la contribution climat s’applique selon les efforts consentis par chaque entreprise
assujettie pour diminuer son bilan carbone. Pour cela, une classification des entreprises a été élaborée selon l’efficacité énergétique de leurs méthodes de production. Plus l’entreprise se montre vertueuse, plus sa contribution sera modérée. Le taux sera fixé par la voie parlementaire (voir ci-après).

Les 4 catégories d’entreprises sont distinguées de la manière suivante dans le projet de Pacte :

  • les entreprises de catégorie A sont les entreprises qui développent des nouvelles technologies liées aux énergies renouvelables ou des innovations décisives dans le domaine des technologies et des procédés à faibles émissions de carbone ;
  • les entreprises de catégorie B sont des entreprises qui recourent à des méthodes de production qui présentent une efficacité, calculée comme rapport entre émissions en équivalent CO2 et une valeur, supérieure d’au moins 50 % à la moyenne du secteur. Les entreprises de catégories A et B sont soumises aux taux les plus faibles ;
  • les entreprises de catégorie C sont des entreprises qui recourent à des méthodes de production dont l’efficacité est proche de la moyenne du secteur, c’est-à-dire dont l’efficacité de la production n’est ni supérieure d’au moins 50 % ni inférieure d’au moins 50 % à la moyenne du secteur ;
  • les entreprises de catégorie D sont des entreprises qui recourent à des méthodes de production qui présentent
    une efficacité inférieure d’au moins 50 % à la moyenne du secteur (article 8.3). Les entreprises de catégorie C et D sont respectivement soumises à des taux intermédiaire et maximum.

Ces modalités ont été placées entre crochets dans le projet de Pacte. Il s’agit d’arbitrages indicatifs opérés par ses rédacteurs.

UNE IMPOSITION EUROPÉENNE SUR LES BÉNÉFICES N’EST-ELLE PAS IRRÉALISTE ?

Aucune imposition sur les bénéfices n’existe au niveau européen. On constate d’ailleurs une déconnexion des taux nationaux, laquelle s’explique d’une part par des stratégies de concurrence fiscales interétatiques, d’autre part par l’existence d’une règle d’unanimité en matière fiscale au Conseil, laquelle rend politiquement peu probable toute harmonisation.

Les arguments suivants peuvent être retenus pour instaurer une contribution climat européenne progressive
sur les bénéfices des entreprises :

  • elle serait conforme aux traités. L’instauration d’une telle contribution est conforme à l’objectif de l’article 191, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose que la politique de l’Union se fonde sur le principe du pollueur-
    payeur ;
  • économiquement nécessaire. On constate une érosion de la base fiscale des États en matière d’impôts sur les sociétés. La moyenne du taux de l’IS dans les États de l’UE a perdu 10 points entre 2010 et 2018 ;
  • politiquement attendue. De nombreux mouvements de la société civile réclament une harmonisation européenne en la matière, y compris les soutiens du Pacte, lesquels représentent des tendances politiques habituellement éloignées. La Commission Juncker a elle-même appelé à l’adoption de nouvelles ressources propres pour l’UE, dont un taux d’appel de 3 % appliqué sur une assiette commune d’impôt sur les sociétés ;
  • techniquement faisable. La directive dite ACCIS proposée en 2016 par la Commission Juncker a proposé une procédure d’assiette commune d’impôt sur les sociétés. Si son adoption a été reportée en raison des débats sur la taxation européenne des GAFAM en 2018, ce plan dispose de la possibilité technique d’un tel schéma d’imposition commune. L’harmonisation des impôts indirects (la TVA notamment) constitue par ailleurs un précédent technique convainquant pour une harmonisation des impôts directs dans l’Union européenne.
QUELLE STRATÉGIE POUR CONTOURNER LA RÈGLE DE L’UNANIMITÉ EN MATIÈRE FISCALE ?

Prenant acte de la potentielle impasse politique que génère la règle de l’unanimité en matière fiscale au sein du Conseil, les rédacteurs du Pacte ont conçu une stratégie en trois scénarios pour la mise en place du Fonds.

  1. Un règlement européen effectivement adopté à l’unanimité, au sens de l’article 192 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
  2. Une coopération renforcée fondée sur la participation d’au moins 9 États membres, au sens de l’article 20 du Traité sur l’Union européenne.
  3. Un accord intergouvernemental, synonyme de traité, entre États membres de l’Union européenne mais en dehors du cadre de cette dernière. Ce choix est précédé de l’exemple du Mécanisme européen de stabilité. Cet accord pourrait être conclu par un nombre d’États éventuellement inférieur au minium nécessaire pour lancer une coopération renforcée.

La Cour de justice de l’Union européenne a validé non seulement la possibilité d’un scénario de coopération renforcée en matière fiscale mais aussi validé la possibilité de conclure un accord intergouvernemental entre États membres dans le cadre de leurs compétences.

Nous connaissons néanmoins la difficulté de cette proposition, en France notamment, où l’impôt sur les sociétés est déjà élevé. Et nous savons que si tous les États européens ne s’accordent pas sur cette augmentation, elle accentuera la concurrence fiscale à laquelle ils se livrent déjà au sein de l’Union. C’est pourquoi, nous devons aussi considérer d’autres moyens de financements, comme une taxe verte aux frontières de l’Union – qui permettrait, en outre, si l’augmentation de l’impôt sur les sociétés était adoptée, de préserver la compétitivité des entreprises européennes – ou une taxation du kérosène. Reste à déterminer combien elles pourraient rapporter précisément.

COMMENT S’ASSURER QUE LE FONDS FINANCE EFFECTIVEMENT LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ?

Le projet de traité créant le Fonds reprend l’exacte même typologie de projets soutenus telle que prévue dans les Statuts de la Banque.

À la différence des financements de la Banque, les concepteurs du Pacte ont imaginé une répartition prédéfinie des subventions issues des recettes du Fonds. Les 100 milliards d’euros annuels de recettes escomptées pourraient à ce titre abonder respectivement des travaux de recherche européens dirigés vers la neutralité carbone (10 milliards d’euros), l’aide à la transition des pays partenaires d’Afrique et du pourtour Méditerranéen (40 milliards d’euros) et vers des projets situés sur le territoire européen (50 milliards d’euros).

POURQUOI CO-FINANCER LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE À L’EXTÉRIEURE DE L’UNION EUROPÉENNE ?

La situation des pays d’Afrique et du pourtour de la Méditerranée présente un mix énergétique encore fortement dépendant aux énergies fossiles et de lourdes entraves à l’accès à l’énergie. Si certains acteurs comme la Chine, procurent à certains de ces pays des prêts visant à développer leurs capacités énergétiques, les concepteurs du Pacte ont imaginé un canal de subventions continu, régulier et massif visant à diriger des subventions vers des objectifs de transition qui, chacun le sait, n’ont pas de frontière. Ce mécanisme d’aide directe s’inscrit dans un calendrier d’autant plus urgent que les fonds internationaux de soutien à l’atténuation au changement climatique dans les pays du sud sont en situation de sous-financement.

Union pour le Climat

COMMENT UNE UNION POUR LE CLIMAT ET LA BIODIVERSITE POURRAIT-ELLE ETRE CREEE A L’INTERIEUR DE L’UNION EUROPEENNE ?

L’idée d’Union pour le climat et la biodiversité vise à mobiliser les États membres de l’Union européenne autour de l’ambition sans précédent que constitue le Pacte Finance-Climat.

La dénomination en « unions à l’intérieur de l’Union » est courante. Une « Union de l’énergie et du climat », une « Union du numérique », une « Union des capitaux » sont des coopérations existantes. Dans le cas où l’unanimité des États se prononcerait en faveur des outils du Pacte Finance-Climat, cette nouvelle union s’insérerait dans le cadre « classique » des politiques communautaires.

Tenant compte de la difficulté d’obtenir l’unanimité, notamment sur le volet du Fonds, voire sur le volet de la Banque, les concepteurs du Pacte Finance-Climat ont imaginé regrouper les États membres volontaires dans une zone d’action spéciale dénommée « Union pour le climat et la biodiversité. » Pour chacun des volets du Pacte, ses concepteurs pensent que l’avantage à bénéficier des financements issus de ses deux outils est susceptible d’entraîner chacun des États membres de l’Union européenne à rejoindre l’Union pour le climat et la biodiversité.

Les États participants à l’accord intergouvernemental tel que prévu par les concepteurs du Pacte mettraient en commun leurs députés européens. Au sein du Parlement européen réuni en sessions spéciales et dénommé « Parlement de l’Union pour le climat et la biodiversité », ils voteraient les taux de la contribution climat. Un Conseil composé des ministres de l’environnement des États membres serait chargé de l’exécution des décisions dudit Parlement.

De même que la zone euro ou l’espace Schengen, l’Union pour le climat et la biodiversité a vocation à s’intégrer dans l’Union européenne.