Agir pour le climat et la députée Marjolaine Meynier-Millefert ont tenu, jeudi 28 mars, une après-midi d’étude sur la rénovation énergétique des logements au Palais Bourbon. Une centaine de personnes, représentant l’écosystème de la rénovation, était réunie à cette occasion en salle Colbert : administrations centrales, agences de l’État, opérateurs, réseaux bancaires, fédérations de professionnels, entreprises, parlementaires, acteurs associatifs de l’énergie, de l’environnement et du logement.

L’après-midi était structurée en deux séquences : la première portait sur la stratégie gouvernementale de décarbonation des logements à horizon 2030, la seconde sur les instruments de politique générale mis en œuvre pour soutenir cette stratégie.

Pour en discuter :

  • Trois représentants des pouvoirs publics : Cécilia Berthaud, n° 2 du secrétariat général à la planification écologique (le SGPE dépend de Matignon), Simon Huffeteau, coordinateur gouvernemental du plan de rénovation énergétique des bâtiments, et Vincent Feuillette, secrétaire général de l’Agence nationale de l’habitat en charge du pilotage stratégique (l’Anah est la cheville ouvrière de la politique de rénovation énergétique en France).
  • Le directeur de l’économie du système électrique de RTE (le gestionnaire du réseau de transport électrique en France), Olivier Houvenagel.
  • Et trois experts de notre réseau : Olivier Sidler, expert en énergétique, fondateur du bureau d’étude Enertech, Nicolas Desquinabo, expert en évaluation des politiques publiques de transition écologique, responsable du chapitre “Bâtiment” dans le rapport européen Road to Net Zero de l’Institut Rousseau, et Vincent Legrand, président de Dorémi, gérant de l’Institut négaWatt.

À la fin de chaque séquence, la discussion s’est élargie aux invités présents dans la salle.

L’enregistrement et les supports de présentation se trouvent après la synthèse ci-dessous.

La stratégie

Pour réduire de 58 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le secteur du bâtiment d’ici 2030 (année de référence 2019), le SGPE a défini deux grands objectifs : le remplacement d’au moins 75 % des chaudières fioul et 25 % des chaudières gaz par des chauffages bas carbone (pompe à chaleur, biogaz, réseau de chaleur, bois), et la rénovation “d’ampleur” de 550 000 résidences principales par an en moyenne  (à peine 100 000 sont actullement rénovées chaque année).

Si l’énorme travail réalisé par le SGPE et son approche systémique de la transformation écologique ont été salués, la nécessité de penser la stratégie (et les discussions) à partir des catégories légales de “rénovation performante” et “rénovation globale” a été soulignée par Vincent Legrand. La loi Climat et résilience de 2021 définit en effet la rénovation performante comme permettant d’atteindre la classe A ou B du diagnostic de performance énergétique (DPE), avec une exception pour les passoires thermiques (classe C), en tenant compte des 6 postes de travaux : les 4 postes de l’enveloppe (murs extérieurs, menuiseries extérieures, toiture, plancher bas) et les 2 systèmes (chauffage et ventilation). Elle définit la rénovation globale comme une rénovation performante conduite en une seule fois, c’est-à-dire sur une période inférieure à 18 mois pour un logement individuel.

Les expressions “rénovation prudente”, “rénovation ambitieuse”, “équivalent rénovation performante” sont imprécises. La notion de “rénovation d’ampleur”, qui sous-tend le parcours accompagné de MaPrimeRénov’ (MPR), renvoie à des réalités très hétérogènes, puisqu’elle désigne aussi bien des opérations conduisant à 2 sauts de classe que des rénovations permettant 4 sauts de classes et plus.

Le cadre européen qui procède de la directive révisée sur la performance énergétique des bâtiments (EPBD dans son sigle anglais) impliquera même d’aller plus loin dans la performance des rénovations énergétiques puisqu’elle fixe l’objectif d’un parc immobilier à émissions nulles en 2050, en précisant que l’énergie utilisée devra être produite sur place ou à proximité. Autrement dit : la consommation des logements devra tourner autour de 60 kWh d’énergie primaire par mètre carré et par an pour les 5 usages (chauffage, eau chaude sanitaire, rafraîchissement, éclairage et auxiliaires). Tout le monde en classe A ! Si l’effort à fournir d’ici 2030 représente une montagne, l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 s’apparente à un Everest.

Pour répondre aux partisans d’une décarbonation des logements par simple changement de vecteurs, Olivier Sidler a réexpliqué en quoi une stratégie fondée sur la réduction de la consommation via la rénovation globale et performante des logements, avec installation de chauffage bas carbone, l’emportait à tous points de vue : coûts, lutte contre la précarité, qualité de vie, adaptation au changement climatique.

Cette stratégie est en réalité indispensable à l’atteinte de nos objectifs de réduction d’émissions de GES en 2030. Olivier Houvenagel a indiqué en effet que la pointe électrique appelée par le déploiement de millions de PAC était absorbable à condition d’accélérer sur la rénovation performante. À défaut, l’ouverture de centrales thermiques supplémentaires serait très probablement nécessaire, ce qui poserait un problème de bouclage GES, et un défi industriel important.

L’idée, sans fondement physique, d’une modification à la baisse du coefficient de conversion énergie primaire / énergie finale pour l’électricité, qui refait surface, serait en totale contradiction avec une stratégie de rénovation énergétique. Ce coefficient, actuellement à 2,3, correspond aux kWh d’énergie primaire nécessaires à la production d’1 kWh d’électricité dans le pays. Tant que nous produirons de l’électricité par voie thermique, c’est-à-dire en chauffant de l’eau (par combustion de fossiles ou fission d’uranium) pour faire tourner une turbine, nous serons soumis à la loi de Carnot et limités à un rendement de 30-35 %. Si, comme le souhaitent certains, ce coefficient était artificiellement abaissé à 1,2, le diagnostic de performance énergétique (DPE) – exprimé en énergie primaire par mètre carré et par an – de presque tous les logements chauffés aujourd’hui par convecteurs électriques passerait mécaniquement en classe A, B ou C, et il suffirait d’équiper les passoires énergétiques chauffées au gaz ou au fioul de ces vecteurs, peu onéreux, pour les faire sortir des étiquettes F et G. Cette modification constituerait un coup de frein phénoménal à la dynamique de rénovation que nous sommes en train de construire.

Les politiques publiques de rénovation énergétique

Elles reposent essentiellement sur l’incitation, a insisté Simon Huffeteau, la décision de rénover ou non son bien appartenant in fine au ménage. Dans le paysage des aides existantes (CEE, TVA à taux réduit, prêts réglementés, subventions locales), MaPrimeRénov’ représente l’instrument principal. Ce dispositif, piloté par l’Anah, a été réformé au 1er janvier pour répondre aux deux axes stratégiques établis par le SGPE : la décarbonation du chauffage avec MPR (à l’exclusion des passoires énergétiques) et la rénovation d’ampleur avec MPR parcours accompagné.

Malgré les modifications survenues ces dernières semaines, les trois représentants des pouvoirs publics ont confirmé le changement de cap de la politique en matière de rénovation énergétique. La réforme MPR consacre la bascule d’un système d’aides centré sur les monogestes à un système d’aides fondé sur une approche globale de la rénovation énergétique. Les niveaux d’aides élevés pour les rénovations d’ampleur et le recours obligatoire à Mon Accompagnateur Rénov’ (MAR) dans ce cadre demeurent inchangés. La réouverture des aides aux monogestes d’isolation et de ventilation et le prolongement de l’éligibilité des passoires énergétiques au seul changement de chauffage constituent un ajustement temporaire, une période “pédagogique”, qui prendra fin au 31 décembre 2024.

Le besoin de pérenniser la nouvelle orientation de la politique publique, en particulier ses montants d’aides importants, et de donner de la visibilité à l’ensemble des ménages et des acteurs de la filière, à travers l’adoption, par exemple, d’une feuille de route pluriannuelle fondée sur les trajectoires établies par le SGPE, a été exprimé de nombreuses fois. Nicolas Desquinabo l’a souligné : tous les territoires qu’il a évalués où le rythme de rénovation performante avait été multiplié avaient mis en place des dispositifs stables depuis des années.

Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov’, pensé comme une réponse à la fraude et au manque de qualité des travaux, connaît une dynamique très positive, comme nous l’a appris Vincent Feuillette. Avec près de 3 000 agréments à la fin mars, l’objectif des 4 000 à 5 000 accompagnateurs agrées d’ici fin 2024 devrait être atteint en milieu d’année. Et la demande, côté usagers, est au rendez-vous.

Si l’augmentation significative des aides et l’obligation d’accompagnement pour les rénovations plus ambitieuses ont été saluées, le paramétrage et les outils du dispositif MPR ont été questionnés.

Le soutien à la PAC seule (dans le cadre de MPR) ou avec deux postes d’isolation traités à 25 % seulement (dans le cadre de MPR parcours accompagné) risque de creuser l’écart de reste à charge en défaveur des rénovations performantes dans le cas des ménages modestes et intermédiaires. L’exemple allemand en cours montre qu’avec la concurrence des aides au changement de chaudière, le nombre de rénovations performantes s’est effondré.

Le calcul conventionnel, sur lequel reposent DPE et audit énergétique, n’a pas été pensé comme un instrument de préconisation et d’évaluation, et il est sujet à la fraude. Les MAR doivent donc être équipés d’outils complémentaires, simples et adaptés, tels que les bouquets de travaux pré-calculés (STR), pour réaliser les prescriptions de travaux et garantir leur impact.

 

À l’issue de l’après-midi, rendez-vous a été lancé pour une nouvelle session. Elle est en préparation et portera sur le financement des rénovations énergétiques.
Les supports utilisés par les intervenants :