La Politique agricole commune de l’Union Européenne, révisée tous les 5 ans, détermine les grandes orientations de l’agriculture européenne et définit les critères de distribution des subventions aux exploitants. Les Etats Membres ont livré à Bruxelles leur Plan stratégique national (PSN), déclinaisons nationales de la PAC, pour la période 2023-2027. Au cœur de la machine européenne, Benoit Biteau, agriculteur et eurodéputé (Green/EFA) membre des commissions de l’Agriculture et du développement rural (AGRI), de la Pêche (PECH) et du Développement (DEVE), nous livre son regard sur les discussions qui font le devenir de l’agriculture du continent.

 

Ce début décembre, le Conseil de l’UE a adopté sa nouvelle Politique Agricole Commune. Quel est votre regard sur cette nouvelle stratégie de la PAC ?

Cette réforme de la politique agricole commune (PAC) a manqué son rendez-vous avec l’Histoire. Alors que l’effondrement de la démographie paysanne s’accélère en Europe (-50% en 30 ans), cette PAC va continuer d’encourager l’agrandissement des exploitations en maintenant le principe des paiements à l’hectare : plus les exploitations sont grosses, plus elles touchent de subventions publiques. Ce mécanisme, qui conduit à ce que 80% des aides PAC soient perçues par 20% des agriculteurs en Europe, paupérise les paysans et freine l’installation de nouveaux agriculteurs. La transition agro-écologique ne pourra pas se faire sans paysan !

Sur le volet du climat, même constat. Alors que nous avons adopté des objectifs de réduction de nos émissions carbone (-55% d’ici 2030) avec le Pacte Vert, la réforme de la PAC ne permettra pas à l’agriculture de faire sa part. Au contraire, alors qu’on sait que les émissions du secteur sont majoritairement liées à l’élevage concentrationnaire de bovins et qu’il faudrait donc réduire le cheptel européen, le mécanisme des paiements directs encourage la densification et l’intensification des élevages. Et pourtant, plutôt que d’en émettre, le secteur agricole peut permettre de stocker durablement et efficacement du carbone !

Sur le volet biodiversité, aucune conditionnalité n’est prévue pour réduire de 50% l’usage de pesticides d’ici 2030 tel que la stratégie « de la ferme à la fourchette » le prévoit. Si d’un côté le Pacte Vert et ses stratégies fixent des objectifs ambitieux, l’outil réglementaire et budgétaire qu’est la PAC ne prévoit pas de les atteindre !

Et enfin, cette nouvelle PAC est une marche de plus vers la renationalisation des politiques agricoles. Avec l’apparition des « Plans stratégiques nationaux », la PAC perd son caractère communautaire : chaque Etat écrit sa version nationale de la PAC. Ceux-ci vont chercher à être plus compétitifs que leurs voisins, au détriment des paysans, du climat, de la santé et de la biodiversité. Pire, cette renationalisation favorise les autocrates tchèque et hongrois, Andrej Babis et Viktor Orban, qui se détournent les subsides de la PAC pour assurer leur ascension politique via des réseaux clientélistes.

 

Pour la France, c’est près de 9 milliards par an que la PAC distribue aux agriculteurs. Le gouvernement français prépare actuellement son projet. Que percevez-vous venir ?

Une première version du plan stratégique national français est déjà sortie. Le Ministre Denormandie parcourt la France pour rassurer les agriculteurs productivistes : selon ses mots, 70% des agriculteurs n’auront pas besoin de changer leurs pratiques. C’est selon cette logique qu’a été construit le PSN français. La déconnexion avec les objectifs du pacte vert est totale. J’ai d’ailleurs écrit au Commissaire de l’Agriculture pour l’alerter sur ce point. Au moment de la publication, j’avais également participé au mouvement #LaBioAPoil pour dénoncer la fin des aides au maintien à l’agriculture biologique. Pire, le PSN prévoit de traiter sur un pied d’égalité l’agriculture bio et l’agriculture labélisée HVE (Haute Valeur Environnementale). Si la bio répond à un cahier des charges précis (et notamment l’absence de pesticides, d’engrais de synthèse et d’OGM), le label HVE est quant à lui très permissif : sur la qualité, il n’exclue l’utilisation d’aucun pesticides, même les cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques et perturbateurs endocriniens ; sur la quantité, il n’exige seulement que moins du tiers du chiffre d’affaires de l’exploitation soit consacré à l’achat d’intrants. Cette proportion est si élevée qu’elle n’engendre aucun besoin de changement de pratiques.

La « PAC version Macron » est une nouvelle fuite en avant ; très loin d’améliorer la version européenne, elle encourage d’avantage l’agriculture intensive, robotisée et numérisée.

La nouvelle PAC favorise l'agriculture intensive

Le mécanisme des paiements à l’hectare favorise les grandes exploitations qui pratiquent l’agriculture intensive et la monoculture.

L’institut européen pour les politiques environnementales vient d’évaluer les besoins de l’agriculture française. Que dit cette autorité environnementale ?

Sans surprise ce rapport pointe l’insuffisante des objectifs et des ambitions de la France pour accompagner la pourtant urgente réinvention de l’agriculture : « Il est clair que les ressources naturelles en France sont fortement et négativement affectées par l’agriculture. Les tendances actuelles ne sont pas encourageantes, notamment pour la qualité de l’air, la biodiversité et le climat. Une transformation profonde de l’agriculture française est nécessaire pour rendre le secteur plus durable, résilient et évolutif », disent en substance les auteurs.

L’utilisation des fonds européens de la PAC, mais aussi de nombreuses politiques nationales, aujourd’hui majoritairement mobilisées par satisfaire des solutions curatives, pourraient être redéployées pour soutenir des pratiques agricoles préventives et d’anticipation, convertissant ainsi les actuelles subventions sans obligations de résultats sur ces enjeux, en une réelle rémunération des paysans pour services écosystémiques.

Que pouvons-nous encore faire ?

Le plan stratégique national français peut encore changer si nous élisons un autre Président de la République !

L’année 2022 est une année déterminante pour l’agriculture. Il y aura d’abord l’examen des Plans Stratégiques Nationaux remis par les Etats membres à la Commission. Sur ce plan, l’élection d’un Président écologiste peut vraiment changer la donne ! On l’a vu en Allemagne où le nouveau gouvernement a annoncé la fin des aides PAC liées à la surface pour réfléchir à des soutiens uniquement liés à la question du climat et de la biodiversité en mettant le cap sur l’agriculture biologique. En France, ce basculement est aussi possible, avec de la volonté, de l’audace et du courage politique !

D’autres dossiers seront également déterminant en 2022. Sur le volet « pesticides », le Parlement devra se prononcer sur le renouvellement (ou non) de l’autorisation du glyphosate eu Europe. Sur le volet « OGM », qui est indissociable de l’utilisation des pesticides, Emmanuel Macron et son ministre de l’Agriculture Denormandie ont annoncé une réforme de la règlementation sur les OGMs. Ils souhaitent notamment que soient autorisés les nouveaux OGMs, qui sont tout aussi néfastes pour la santé, la biodiversité et à l’autonomie des paysans que les autres. Cette bataille sera très importante pour protéger nos champs et nos assiettes, et nécessitera la mobilisation de toutes et tous !

Propos recueillis par Edouard Bouin.