Grégoire Chauvière Le Drian est chef du bureau français du Groupe BEI (Banque européenne d’investissement et Fonds européen d’investissement). Il y a quelques semaines, il était venu présenter l’action climatique de la BEI auprès des sympathisants et adhérents de l’association à l’occasion du Forum du 29 janvier 2022. Il répond aujourd’hui à nos questions et s’attarde notamment sur l’épargne des particuliers qui pourrait être mobilisée dans la lutte contre le réchauffement climatique.

 

La BEI a été intronisée Banque européenne du climat en novembre 2020 par les États membres. C’est en France que ses financements verts sont les plus importants. En quoi consiste l’action climatique de la BEI sur notre territoire ? Quels sont les projets verts cofinancés par l’institution ?

La Banque européenne d’investissement est la banque de l’Union européenne. Elle finance des projets qui concourent à des priorités de politique européenne : les infrastructures, les PME, l’innovation et surtout l’environnement. La banque s’est engagée notamment à porter un accent particulier sur le financement de la lutte contre le changement climatique. Pour cela, elle s’est engagée sur trois objectifs principaux :

  1. L’exclusion de son activité des projets mobilisant des énergies fossiles. C’est une décision importante qui exclut notamment les projets gaziers, les routes, les extensions d’aéroport visant à augmenter seulement le trafic.
  2. L’augmentation de ses engagements en faveur de projets à impact positif, jusqu’à atteindre en 2025, 50 % de l’activité de la banque. 43% des financements de la Banque sont aujourd’hui à impacts positifs sur le climat, 72% pour la France (soit près de 7 milliards d’euros par an).
  3. Enfin, la BEI prend l’engagement qu’aucun des projets qu’elle finance n’aura d’impact négatif sur le climat.

C’est ce que l’on appelle l’alignement aux Accords de Paris. Au pire, les projets auront une neutralité carbone, c’est le cas notamment de projets d’innovation. Utiles pour l’Europe – je pense notamment au financement de l’entreprise BioNtech que nous connaissons – mais sans impact direct sur le climat. Parmi les projets à impact positif, on peut citer par exemple les fermes éoliennes, le développement des bus à haut niveau de service, la construction des lignes de transport collectif (tramway, train…), la rénovation thermique des bâtiments privés ou publics, l’innovation pour la décarbonation des entreprises émettrices, le développement de petites entreprises qui apportent des solutions à des enjeux climatiques, le déploiement de solutions de recyclage ou encore le financement des entreprises de batteries électriques… Ce sont autant de projets, de secteurs qui concourent à la lutte contre le changement climatique et qui favorisent, dans tous les territoires, un emploi durable pour une production responsable.

Jamais autant d’argent n’aura été consacré à la transformation écologique de l’Europe. Malgré cela, la Commission européenne chiffre à 350 milliards d’euros le déficit d’investissement annuel pour atteindre l’objectif de – 55% d’émissions de GES en 2030. Dans ce contexte, la BEI ne pourrait-elle pas monter davantage encore en puissance pour le climat ? Une recapitalisation est-elle envisageable ?

Les besoins pour financer notre transition énergétique sont énormes. Ils sont à la hauteur de cette nécessaire adaptation. Il faut même parler de révolution énergétique. Néanmoins, la puissance publique ne peut pas tout. Le rôle d’un acteur comme la BEI est d’initier et d’accélérer cette transformation. Pour cela, des moyens très importants vont être engagés dans les années à venir : plus de 30 milliards d’euros de financement par an, ce sont environ 100 milliards d’euros mobilisés vers des projets à impact positif. La BEI a en effet une capacité de mobilisation, un rôle catalytique, auprès d’autres investisseurs. Cela revient à 1000 milliards d’euros mobilisés sur une décennie pour des projets à impact positif. Cet engagement sert le Green New Deal porté par la Commission européenne et vient s’ajouter aux efforts sans précédents pris au niveau national, grâce au Plan France Relance, soutenu par la ressource européenne à hauteur de 40 %, et France 2030 qui engage la France dans une véritable transformation ! Les montants en jeu sont très élevés et la BEI ne peut seule couvrir tous les besoins. Elle s’est engagée à augmenter ses capacités de financement, avec le soutien des Etats membres et elle fera plus, si la responsabilité lui est confiée. Mais elle a un rôle aussi d’initiateur et d’accélérateur pour permettre de mobiliser des financements privés sur ces priorités de politique publique.

La nouvelle PAC favorise l'agriculture intensive

Grégoire Chauvière Le Drian, directeur France de la BEI, Edouard Bouin, administrateur général de APLC et Lucas Chabalier, responsable plaidoyer de APLC, répondent aux questions des adhérents pendant le forum de l’association.

L’épargne des Européens, et en particulier des Français, a beaucoup augmenté pendant la crise Covid (600 milliards accumulés). Comment pourrait-on permettre aux particuliers de mobiliser leur épargne pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique ?

Nous avons observé cette très forte augmentation de l’épargne pendant les deux dernières années. C’est une épargne de précaution, liée à une incertitude face à l’avenir. Néanmoins, nous analysons aujourd’hui dans notre enquête annuelle auprès de 16 000 chefs d’entreprises en Europe : les entreprises françaises sont conscientes de l’impact de l’environnement sur leur chiffre d’affaires et souhaitent investir dans la transition. C’est un élément d’optimisme très intéressant pour les perspectives d’investissement et de croissance des années à venir. On a observé pendant cette période une substitution entre l’épargne publique nationale et l’épargne privée. L’enjeu aujourd’hui est d’être en capacité de mobiliser cette épargne vers des investissements productifs. Cette incitation peut être fiscale mais aussi en proposant des outils d’investissement à des épargnants qui aujourd’hui, bien plus que le taux de rentabilité, cherchent à donner un sens à leur épargne. Des initiatives publiques réussies comme la vente par BPIfrance de titres liés à son portefeuille de créance de PME ou la démarche menée par Akuo pour financer des projets locaux d’énergie renouvelable, sont en ce sens très intéressants. Ils méritent sans doute d’être portés à une échelle plus large, sans doute au niveau européen, afin d’orienter l’épargne des ménages vers des investissements productifs acteurs du changement. C’est probablement un formidable levier d’appropriation de ces projets et s’il était porté un jour par l’Europe, d’adhésion au projet européen.

Propos recueillis par Cyril Smit. Crédit photo Forum Cécile Krasnopolsky-Luciani