Jean-Luc Fugit, vous êtes député du Rhône et président du Conseil supérieur de l’énergie (CSE). Pouvez-vous nous présenter le CSE, sa composition et sa fonction ?
Le Conseil supérieur de l’énergie pourrait se rapprocher d’un “Parlement de l’énergie”.
Le rôle du CSE est d’assurer un dialogue régulier et une association étroite avec les principales parties prenantes du secteur de l’énergie dans la construction de la politique énergétique du Gouvernement.
Il regroupe des représentants de consommateurs d’énergie, des associations agréées pour la protection de l’environnement, des entreprises des différents secteurs énergétiques (incluant le secteur des énergies renouvelables), des syndicats représentant les personnels, des collectivités territoriales et de l’État.
Le Conseil supérieur de l’énergie est consulté sur les textes réglementaires qui concernent le secteur de l’énergie. De ce fait, son rôle est fondamental pour permettre à chaque acteur de ce secteur de pouvoir travailler, en relation étroite avec l’État, sur la construction de la politique énergétique française et sa traduction pratique dans le quotidien des Français.
Par exemple, le CSE a eu à donner plusieurs avis sur le décret portant sur l’agrivoltaïsme, ou encore sur l’évolution des Certificats d’économies d’énergie (CEE) pour leur permettre de financer le bonus automobile, le leasing social ou MaPrimeRenov’.
Le CSE est donc essentiel pour la construction des politiques publiques énergétiques en France.
Vous plaidez pour que la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), feuille de route de la politique énergétique française, soit publiée rapidement. La loi Énergie-Climat (2019) fixait sa publication avant juillet 2023… La PPE a fait l’objet de multiples concertations avec tous les acteurs concernés, y compris avec les parlementaires. En quoi est-elle essentielle pour les entreprises de la transition énergétique ? Comment expliquer que les gouvernements successifs depuis juin 2024 aient tergiversé alors que les indices du changement climatique se multiplient ?
La Programmation pluriannuelle de l’énergie n’est pas qu’un document technique de plus, c’est l’outil stratégique qui permet à la France de concilier transition écologique, compétitivité industrielle et justice sociale. Sans elle, nos entreprises, nos collectivités et nos investisseurs naviguent à l’aveugle, dans un climat d’incertitude qui paralyse les décisions et retarde la décarbonation de notre économie.
Je l’ai répété à maintes reprises, notamment lors de mes interventions à l’Assemblée nationale et dans mon avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2026 : le “stop and go” des politiques énergétiques est un poison pour nos filières industrielles. Les entreprises du solaire, de l’éolien, de l’hydrogène ou du nucléaire ont besoin de savoir si leurs projets seront soutenus sur 10, 15 ou 20 ans pour lever des fonds, recruter, innover et construire des infrastructures. Sans PPE, elles sont contraintes de naviguer à vue, ce qui se traduit par des retards, une perte de compétitivité et, in fine, un ralentissement de la sortie progressive de la France de l’utilisation des énergies fossiles.
Pour nos entreprises, la PPE est un cadre opérationnel qui leur permet de planifier leurs investissements dans les énergies renouvelables, le nucléaire, les infrastructures de stockage ou les réseaux intelligents. Elle définit des objectifs clairs en matière de production d’énergie décarbonée, d’électrification des usages et de sobriété énergétique. Par exemple :
- Une entreprise qui souhaite investir dans un parc éolien offshore ou une unité de production de biométhane a besoin de connaître les volumes attendus, les mécanismes de soutien (appels d’offres, compléments de rémunération) et les échéances pour sécuriser ses financements.
- Nos industriels énergivores, comme ceux de la sidérurgie ou de la chimie, ont besoin de visibilité sur les prix de l’électricité et les dispositifs d’accompagnement pour décarboner leurs procédés. Sans PPE, ces secteurs, déjà fragilisés par la crise énergétique de 2022 et la concurrence internationale, voient leur compétitivité encore affaiblie.
La PPE est aussi un outil indispensable pour coordonner l’action de tous les acteurs, État, collectivités, entreprises, associations et éviter les contradictions entre les politiques publiques. Elle permet d’articuler les objectifs nationaux avec les réalités locales, en donnant aux territoires les moyens de planifier leur transition énergétique. Par exemple : les régions et intercommunalités ont besoin de savoir quels projets (parcs solaires, réseaux de chaleur, bornes de recharge) seront prioritaires pour orienter leurs investissements. Sans ce cadre, les initiatives risquent d’être dispersées, inefficaces, voire contradictoires, ce qui retarde la réalisation de nos objectifs climatiques.
Néanmoins, malgré son caractère essentiel, la PPE a été retardée depuis 2023, et je tiens à en expliquer la principale raison : l’instrumentalisation de la question énergétique par des oppositions stériles entre partisans du “100 % renouvelable” et défenseurs du “tout-nucléaire”.
Ces débats, bien que légitimes, ont pris le pas sur l’urgence climatique et la nécessité d’une approche pragmatique. Par exemple, l’adoption d’un amendement proposant un moratoire sur l’éolien et le solaire a créé un blocage politique, alors même que ces filières sont essentielles pour atteindre la neutralité carbone.
Notre pays ne peut plus se permettre de naviguer sans boussole.
Publier la PPE rapidement, c’est tracer une voie claire pour les années à venir. L’inaction, en revanche, aurait un coût bien plus élevé, économique, social et environnemental. C’est pourquoi je continue de plaider pour sa publication sans délai.
Parmi les sujets suivis par le CSE figurent les Certificats d’économie d’énergie (CEE), l’un des principaux dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des logements avec MaPrimeRénov’ (MPR), distribuée par l’ANAH. Le CSE pourrait-il exiger une évaluation de l’efficacité de ce mécanisme, qui mobilise des ressources financières considérables et dont les résultats en termes d’économie d’énergie ne sont pas apparents ? Comment rendre ce dispositif réellement efficace ?
Le Conseil supérieur de l’énergie suit de près le dispositif des Certificats d’économies d’énergie qui finance MaPrimeRénov’, l’un des principaux leviers de la rénovation énergétique des logements. Toutefois, il faut rappeler que le CSE n’a pas le pouvoir d’exiger une évaluation de l’efficacité globale des CEE. Son rôle est consultatif : il analyse les textes, formule des recommandations et alerte sur les dysfonctionnements éventuels, mais seul le Parlement peut demander un audit extrabudgétaire complet, notamment auprès de la Cour des comptes ou de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
Cette évaluation serait d’autant plus utile que les CEE mobilisent plusieurs milliards d’euros par an. Leur fonctionnement, parfois critiqué pour des fraudes ou pour un manque de lisibilité, mérite en effet d’être mieux encadré. Pourtant, ils ont prouvé leur utilité : selon les estimations de la Cour des comptes en 2024, en tenant compte des opérations standardisées engagées annuellement depuis 2016, les économies d’énergie moyennes annuelles sur la période 2021-2023 s’élèvent à environ 129 TWh/an(1), soit près de 8 % de la consommation totale d’énergie finale en 2023 par exemple. Le dispositif des CEE permet donc une réduction significative des consommations énergétiques permettant d’aller vers davantage de sobriété énergétique.
Ces chiffres démontrent bien que, malgré ses limites, le mécanisme des CEE apporte des bénéfices réels à la société.
Pour améliorer son efficacité, plusieurs leviers peuvent néanmoins être activés comme le renforcement des contrôles pour lutter contre les fraudes et les malfaçons, en s’appuyant sur les dispositifs de la loi n° 2025-594 du 30 juin 2025 contre toutes les fraudes aux aides publiques.
De plus, dans le cadre du projet de loi de finances 2026, j’ai fait adopter plusieurs amendements permettant de renforcer la transparence, la traçabilité et le pilotage démocratique du dispositif. Les CEE sont appelés à financer des politiques publiques de plus en plus larges, il est donc indispensable que leur gouvernance soit modernisée et qu’un contrôle parlementaire soit effectué.
Le CSE peut éclairer le débat, mais c’est bien au Parlement et au gouvernement de garantir que cet outil majeur de la transition énergétique reste efficace, équitable et au service des ménages comme de l’intérêt général et de la transition énergétique.
