Vicky Van Eyck est cheffe de projet de la campagne Unlock lancée avec Positive Money Europe, Agir pour le climat et de nombreux autres partenaires. La campagne Unlock appelle, à travers une pétition, le gouvernement Français, les institutions européennes, les banques commerciales et la BCE à « débloquer » l’argent nécessaire pour financer une grande vague de rénovation énergétique des logements en Europe (Renovation Wave). Dans cet entretien, Vicky Van Eyck nous explique les enjeux de la campagne.

La rénovation énergétique des bâtiments présente beaucoup d’avantages (économies sur les factures d’énergie, réduction de la dépendance au fossile, lutte contre le réchauffement climatique…). Pourtant le chantier européen peine à démarrer. Qu’est-ce qui freine la réalisation d’une vague de rénovation à travers le continent ?

Selon moi, trois grands freins se posent à la réalisation d’une vague de rénovation en Europe.

Le premier est le coût que représente la rénovation de millions de logements en Europe. Le coût de chaque projet de rénovation énergétique étant estimé entre 20 000 et 60 000 euros par logement (variable selon le pays), la plupart des gens n’ont pas les moyens de réaliser ces rénovations par eux-mêmes. Nous devons donc aider les gens, quels que soient leurs revenus, afin de leur permettre de telles rénovations.

Le deuxième frein, et à mon avis le plus important, est l’absence de demande de rénovation complète et performante des logements chez les particuliers. Ces derniers, pour la plupart, ne connaissent pas les avantages d’une rénovation en profondeur, qui leur permettrait non seulement de réduire leur facture énergétique, mais également d’améliorer leur qualité de vie. Il y a également un manque de motivation. Les travaux de rénovation demandent une gestion importante, prennent du temps (jusqu’à plusieurs mois) et peuvent être incommodants. De plus, il est difficile d’avoir accès à des conseils d’experts sur les travaux nécessaires et les subventions disponibles pour couvrir le coût de ces travaux.

Enfin, le dernier frein est le manque de main-d’œuvre qualifiée pour réaliser ce grand chantier.

Pour financer la Renovation Wave européenne, le chiffre de 220 milliards d’euros d’investissement annuel (pour 6 millions de rénovations au niveau BBC) a été mentionné notamment par Olivier Sidler, co-fondateur de négaWatt. Où trouver l’argent ?

Pour répondre très simplement, nous avons besoin de fonds publics ET privés. Le financement public ne suffira pas à couvrir l’ampleur des investissements nécessaires – nous avons besoin que le secteur bancaire privé s’engage pour combler le vide.

La Banque centrale européenne estime que le secteur bancaire commercial doit contribuer à la Renovation Wave à hauteur de 214 milliards d’euros. Les banques ont la capacité d’injecter de l’argent dans l’économie réelle, elles peuvent proposer à leurs clients des prêts accessibles pour le financement de la rénovation énergétique performante de leurs logements. La Banque centrale européenne peut encourager ce type de prêts en offrant des taux réduits sur ses propres prêts aux banques commerciales à condition que ces dernières s’engagent à destiner ces prêts spécifiquement à la rénovation profonde des logements.

Ce type de financements privés, appuyés par l’argent public, permettraient aux gouvernements d’aider les ménages à faibles revenus, de fournir une assistance technique gratuite aux particuliers et de former la main-d’œuvre nécessaire pour répondre à la demande de rénovation énergétique des habitations.

 La question de la dépendance au gaz russe rend le besoin d’une massification de la rénovation énergétique d’autant plus urgent.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a soulevé des questions éthiques sur la dépendance européenne aux énergies carbonées russes et les concepts de sobriété et d’efficacité énergétique sont apparus dans la bouche de nombreux représentants de la classe politique, pas particulièrement reconnus pour leur engagement écologique.
Est-ce que vous avez le sentiment que la situation géopolitique peut influer sur votre campagne et ses objectifs ?

Absolument. Cela a rendu notre campagne encore plus pertinente et encore plus urgente. Soudain, l’efficacité énergétique est sur toutes les lèvres et nous avons même vu des militants bloquer des routes pour exiger la rénovation de maisons en France, en Suisse et au Royaume-Uni.

Lorsque la guerre en Ukraine a éclaté, de nombreuses ONG environnementales, de finance éthique et de justice sociale de toute l’Europe (y compris d’Ukraine) se sont réunies pour discuter d’une stratégie commune. Ces conversations nous ont été extrêmement utiles pour ajuster la campagne Unlock afin de l’intégrer dans ce nouveau contexte. Alors que notre campagne initiale se concentrait principalement sur les propriétaires et les banques commerciales et centrales, notre campagne révisée s’intéresse au rôle des gouvernements et des banques. Nous avons élargi notre cible en incluant les propriétaires, les ménages touchés par la hausse des factures d’énergie, les militants du climat et même des publics plus conservateurs sur le plan politique qui sont préoccupés par la souveraineté énergétique.

En lançant la pétition en France, en Italie et en Espagne, ainsi qu’au niveau européen, nous espérons montrer aux institutions européennes qu’il existe une attente importante des citoyens sur la question de la rénovation énergétique des bâtiments et qu’il est nécessaire de mettre en place un cadre politique ambitieux qui la permette.