Le 8 avril 2025, Jean-Louis Bal, Président d’Agir pour le climat, a été auditionné par l’Académie des technologies, qui a lancé une étude sur les potentialités de développement industriel du solaire photovoltaïque en France. Du fait de sa longue expérience dans ce secteur, Jean-Louis Bal a été invité à retracer l’historique du photovoltaïque de 1973 à nos jours, en mettant en évidence les politiques de recherche et développement en lien avec la croissance des marchés. Le texte de son exposé vous est présenté.
Avant 1973, le photovoltaïque ne s’est développé que pour les applications spatiales. Le premier satellite avec panneau solaire fut lancé en mars 1958 par les Américains et se nommait Vanguard 1. Le coût était sans importance et, seul, le poids était un facteur déterminant.
Au début des années 1970, le club de Rome lance son cri d’alarme sur les limites de la croissance : les ressources de la planète ne sont pas infinies.
En juillet 1973, l’UNESCO accueille un congrès “the Sun in service of mankind” auquel prennent part 1 000 participants, venus du monde entier. Il en ressort la vision d’un possible déploiement à grande échelle de l’énergie solaire pour répondre aux défis de l’épuisement des ressources et des pollutions engendrées par les énergies fossiles et nucléaires.
Le premier choc pétrolier de 1973 agit à son tour comme un révélateur des limites de ressources disponibles même si son origine était purement politique.
Depuis 1973, chocs et contre-chocs pétroliers ont continué à infléchir dans un sens ou dans l’autre les politiques de soutien au développement du solaire. Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011 ont été d’autres événements majeurs qui ont fortement influé sur ces politiques.
Le rôle pionnier des États-Unis
Après le premier choc pétrolier, l’administration américaine met en place le premier programme de développement du photovoltaïque aux USA et dans le monde. L’effort culmina sous la présidence de Jimmy Carter (1977-1981) et avec Paul Maycock, directeur du programme fédéral photovoltaïque. Dès le début, des objectifs de coût /Wc sont élaborés : 0.5 $/Wc pour 500 MW de capacité, 0.10 pour 50 GW.
En 1978, le congrès américain approuve un programme photovoltaïque (R&D) avec l’objectif d’atteindre un niveau de 4,4 GW en 10 ans. L’engagement budgétaire s’élève à 1,5 milliard de $. Le PURPA (Public Utility Regulatory Policy Act) de 1978 oblige les compagnies d’électricité à acheter l’électricité solaire à des prix attractifs (“fair”).
De 1977 à 1980, 1 300 petits systèmes photovoltaïques (résidentiel, irrigation) sont installés grâce au Federal PV Utilization Programme. À partir de 1980, un crédit d’impôt de 40 % est alloué aux investissements dans le domaine.
Le budget fédéral R&D atteint 157 millions de dollars en 1980. Des centaines de bâtiments photovoltaïques sont construits. Parmi les références historiques, retenons le village indien de Schuchuli (Arizona) qui fut la première communauté autonome grâce à l’énergie solaire ou la centrale de Carrisa Plains (Californie), 6,5 MW avec suivi du soleil sur deux axes. Parmi les États américains, la Californie émerge comme leader, offrant notamment des crédits d’impôts encore supérieurs à ceux de l’État fédéral.
L’industrie suit le mouvement et la capacité de production monte à 25 MW en quelques années. Malheureusement, Ronald Reagan succède à Jimmy Carter et les USA arrêtent leur engagement massif dans le solaire.
Le Japon et l’Allemagne prennent le relais
En Allemagne
Les premières activités de l’Allemagne dans le photovoltaïque ont également été liées aux applications spatiales dans les années 1960 (AEG et Telefunken). L’intérêt pour les applications terrestres émerge avec la participation d’une délégation allemande au Congrès de l’Unesco en 1973.
Quelques mois plus tard, le gouvernement allemand lance le programme national de R&D photovoltaïque. Parmi les premiers directeurs du programme, citons Walter Sandtner qui tint un rôle particulier plus tard. Les Allemands comprirent très tôt l’intérêt de créer des centres de recherche spécialisés. Adolf Goetzberger fut le premier à créer un institut solaire à Freiberg en 1981 : ISE (Institute for Solar Energy) qui est aujourd’hui internationalement reconnu. D’autres suivirent comme le ZSW (centre de recherche pour l’énergie solaire et l’hydrogène) à Stuttgart et l’ISET à Kassel.
Parallèlement, l’industrie allemande a connu beaucoup de hauts et de bas. Le pionnier AEG a disparu lors de la vente de la maison mère. Siemens a connu le désastre avec le rachat d’Arco Solar (Californien). Ce ne fut pas le cas de Wacker Chemie, le premier producteur mondial de silicium purifié, toujours leader au début des années 2010, ni de SMA, encore un des principaux producteurs d’onduleurs, qui fut créé parallèlement à l’ISET, ni de Schott Solar, producteur de cellules (SiC) et modules à Alzenau, qui a survécu à une tentative de diversification dans les couches minces avec Nukem. À cette période naquit aussi Wurth Solar qui produit des cellules CIS en couches minces depuis 2008 après avoir acheté une technologie développée par ZSW.
D’autres industriels ont émergé ensuite, comme Solarworld ou Q-Cells, qui ont connu les mêmes difficultés que l’ensemble de l’industrie photovoltaïque : surcapacité de la production par rapport à la demande du marché et concurrence de la Chine. Q-Cells a été depuis racheté par le coréen Hanwa. La fabrication est située en Corée mais le centre de R&D est toujours en Allemagne et les modules Q-Cells sont parmi les plus performants.
Ce qui différencie l’approche allemande de toutes les autres stratégies nationales, c’est d’avoir compris avant les autres que la baisse des coûts viendrait d’une combinaison des efforts de R&D et d’une production de masse.
Le programme allemand a été conçu sur la base de 3 phases :
- 1974-1989 : la phase recherche
- 1989-2000 : la phase démonstration (avec poursuite de la recherche)
- À partir de 2000 : la phase commerciale
C’est en 1989 que fut confiée, par le gouvernement allemand à Walter Sandtner, la responsabilité de lancer le programme 1 000 toits photovoltaïques (qui furent en réalité 2 200). Il fut lancé sur tout le territoire en coopération avec 16 Länder et des instituts de recherche. À cette époque n’existaient que 6 toits photovoltaïques connectés au réseau. Il fallut convaincre les gestionnaires de réseaux (pas de normes existantes sur les onduleurs), les artisans du bâtiment et, surtout, les occupants de ces bâtiments. Beaucoup de séminaires d’information et de sessions de formation furent nécessaires avant de lancer ce programme lourdement subventionné (50 % fédéral, 20 % Länder) qui fut l’occasion de démontrer que l’on pouvait valoriser l’énergie solaire sans consommer d’espace, de formuler des normes concernant les onduleurs (40 marques sur le marché), d’organiser un monitoring scientifique des installations et de diminuer de 30 % le coût des installations sur la durée du programme.
L’Allemagne était mûre pour se lancer dans l’étape suivante : 100 000 toits photovoltaïques. Pour faire accepter un tel programme, il fallait un homme d’exception. Ce fut Hermann Scheer, député SPD du Bundestag, ardent promoteur des énergies renouvelables depuis de longues années. 7 ans de bataille politique furent nécessaires pour lancer ce programme, qui était basé sur un tarif d’achat de 99 pfennigs par kWh et un prêt à taux zéro sur 10 ans, le remboursement se faisant sur les années 3 à 10. Depuis, la loi EEG (renouvelables) a pris le relais et définit une obligation d’achat par les compagnies d’électricité avec un tarif d’achat décroissant. Le marché annuel est compris entre 5 et 6 GW et l’objectif 2020 officiel est de 52 GW.
L’Allemagne a été l’artisan principal de la décroissance des coûts (R&D + production de masse) que le secteur a connu. Suivant l’EPIA, les coûts au début 2010 (climat européen) sont de 0,16 à 0,35 €/kWh (du Sud au Nord) et atteindront 0,08 à 0,18 €/kWh en 2020.
Au Japon
À la fin 2010, l’objectif était proche d’être atteint. Le Japon a traditionnellement développé une industrie du photovoltaïque très forte, dans toutes les technologies. Si cristallin, ou films minces excepté le CdTe. Sharp, par exemple, est toujours (depuis 40 ans), un des acteurs majeurs avec plus de 1 000 MW de capacité de production.
Le rôle majeur de la Commission européenne
Le premier programme de R&D Énergie (hors nucléaire) est lancé en 1976. La partie solaire est confiée en 1977 à Wolfgang Palz qui resta à ce poste jusqu’en 1996. Wolfgang Palz, le plus francophile des Allemands, était alors depuis 2 ans à la tête du programme PV du CNES en France. Ces programmes sectoriels s’inscrivaient dans les PCRD (Programme Cadre de R&D) définis pour 5 ans. Les budgets de ce programme, contrairement à une opinion répandue, n’ont jamais été très élevés : entre 5 et 10 % du total des dépenses publiques en R&D en Europe, mais ils ont joué un rôle de catalyseurs en appelant les acteurs nationaux à travailler dans les réseaux européens.
Un autre aspect important de l’action européenne fut la création d’une communauté européenne du photovoltaïque avec les conférences European PV Solar Energy Conferences and Exhibition. La première fut organisée à Luxembourg en 1974 (500 participants). La 26e a eu lieu à Valencia en 2008 avec plus de 4 500 participants à la conférence, 999 exposants et 41 000 visiteurs venus de 103 pays. Son Chairman était le Français, Daniel Lincot.
Dans les programmes de R&D Énergie de la Commission Européenne, le photovoltaïque était une des priorités. Les efforts portaient tant sur les cellules que sur les systèmes :
- Cellules : priorités au Si cristallin.
- Avec notamment les projets Monochess et Multichess.
- Les couches minces n’étaient pas négligées : Eurocad CdTe et EuroCIS CIS.
Les autres priorités étaient :
- l’intégration au bâtiment,
- le réseau européen d’installation pilote European Photovoltaic Pilot programme avec 16 opérations pilotes construites à travers toute l’Europe. La plus connue est la centrale de 1 MW sur l’île de Pellworn en Allemagne.
Un autre aspect important fut la proximité et la cohérence entre la DG12 (Recherche) et la DG17 (Énergie) qui géraient les programmes de démonstration.
Après 1995, la Commission européenne et le Parlement européen perçoivent que les énergies renouvelables sont prêtes pour un développement massif et publient le Livre Blanc des EnR en 1997. Celui-ci propose de passer de 6 à 12 % en énergie Primaire à l’horizon 2010. Ce Livre Blanc est suivi de la directive non contraignante de 2001 sur l’électricité renouvelable. Vient ensuite la directive contraignante de 2009 sur le 20 % d’énergies renouvelables en 2020, qui est aujourd’hui le cadre de référence de tous nos programmes de développement des EnR.
L’irruption de la Chine à la fin de la première décennie du 21e siècle
Durant la première décennie 2000, le gouvernement chinois a élaboré une stratégie de long terme basée sur de lourds programmes de R&D et d’investissements industriels ainsi que sur le développement du marché intérieur mais avec pour priorité les marchés européens, principalement allemand et espagnol. Il en est résulté la forte baisse des prix des modules PV sur les marchés internationaux, notamment en Europe, et l’avènement de la suprématie chinoise toujours d’actualité. De plus, l’industrie chinoise a bénéficié d’un coût du capital très faible. Ce dernier est l’élément majeur de la compétitivité compte-tenu du caractère très capitalistique de la technologie photovoltaïque. Entre 2010 et 2011, l’investissement industriel en Chine a été de 40 milliards de dollars.

La frilosité de programme français
Au début des années 1990, l’industriel français, Photowatt, figurait encore dans le Top 5 des fabricants mondiaux. L’État français a cependant pris l’option de ne pas chercher à développer le marché intérieur, notamment de la connexion au réseau, comme le faisait l’État Allemand et plus tard l’État Espagnol. Le seul marché intérieur soutenu par les pouvoirs publics était celui de l’électrification des sites isolés, principalement en Outremer.
L’ADEME a continué à apporter un soutien financier à la R&D de Photowatt et au réseau de laboratoires du CNRS. Ce soutien, modeste par rapport à l’effort allemand, a néanmoins permis de conserver un haut savoir-faire scientifique. C’est sur la base de cette expertise scientifique qu’ont pu être construits plus tard les deux instituts de R&D, l’INES et l’IPVF, deux centres de recherche de niveau mondial.
Les perspectives françaises et européennes
Le développement du marché du PV en Europe s’inscrit dans le cadre des objectifs européens de réduction des émissions de GES (-55 % en 2030) et de la Directive RED III au même horizon. Cela se décline, en France, par la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie, dont la 3e édition est en consultation actuellement, et qui prévoit 5,5 GW/an de PV en France. Elle est basée sur plusieurs scénarios à l’horizon 2050, ADEME, Shift Project, Négawatt mais surtout RTE (Futurs Énergétiques 2050). Si ces divers objectifs sont tenus, relancer une filière industrielle en Europe est parfaitement réalisable. Le marché intérieur européen est suffisant, de l’ordre de 65 GW en 2024. Le nouveau règlement NZIA prévoit la possibilité d’une forme de protectionnisme sur les secteurs soutenus par les pouvoirs publics.
Certains projets industriels sont actuellement en cours de développement en France : Holosolis, Carbon et Das Solar (Chinois).
Un industriel français subsiste aujourd’hui : Voltec Solar. Voltec Solar prépare un panneau tandem avec une couche de pérovskite. Il est installé en Alsace, possède une capacité annuelle de production de 500 MWc, emploie 120 salariés, et a fêté son 15e anniversaire à l’occasion du salon BePositive 2025.
L’entreprise a récemment investi pour produire un module TOPCON avec contact avant. Ce nouveau panneau atteint 22,8 % de rendement et son premier test a eu lieu en 2017. Voltec Solar est déterminé à ne pas se laisser distancer du point de vue technique. L’entreprise prépare pour 2030 un nouveau panneau en collaboration avec l’IPVF, l’Institut Photovoltaïque d’Île-de-France. Ce sera un panneau “tandem” : silicium en-dessous, pérovskite au-dessus. Cette année, l’IPVF investit dans des machines pour mettre sur pied une ligne de production pilote d’une couche pérosvkite + verre qui sera insérée sur le panneau en silicium de Voltec Solar pour atteindre un rendement de 28 %. Voltec Solar souhaite absolument industrialiser ce procédé pour parvenir à un équilibre économique pour son futur panneau tandem.
Si j’avais à tirer quelques enseignements de cette quarantaine d’années, le premier serait celui des bénéfices de la constance dans l’effort. Les pays, comme le nôtre, qui ont pratiqué le stop and go ne sont plus dans la course et vont devoir faire d’énormes efforts pour rattraper leur retard.
Le second est la nécessité d’avoir toujours un lien fort entre Recherche, Industrie et Marché, comme l’a montré le programme allemand.
Un dernier enseignement fort est que tout reste possible pour la France mais qu’il faut faire vite. Deux conditions essentielles : l’accès à un capital à faible coût et une approche européenne.