I) Le préfinancement des aides à la rénovation énergétique
MaPrimeRénov (MPR) est versée par l’ANAH après travaux. Les propriétaires doivent donc disposer de l’épargne nécessaire ou d’une capacité d’endettement suffisante pour avancer cette aide. Un élément de blocage majeur, en particulier pour les ménages modestes, mais aussi pour les intermédiaires, qui ont droit à des primes importantes dans le cas d’une rénovation d’ampleur et dont la solvabilité est limitée. Pour lever cette difficulté, les entreprises peuvent proposer à leurs clients des devis aide déduite et recouvrir la prime en leur nom ensuite.
Mais cette solution, consistant à faire porter l’avance de l’aide par les professionnels, trouve elle aussi ses limites : comme les ménages, les entreprises sont contraintes par leurs fonds propres et leurs financements. D’autant que le versement de MPR après travaux prend généralement plusieurs mois. Peu d’entreprises peuvent se permettre d’avoir de gros volumes de trésorerie décaissés si longtemps. D’où la concentration du marché de la rénovation d’ampleur entre les mains de gros acteurs, qui rémunèrent ce service d’avance d’aide.
Le versement d’une partie des aides par l’ANAH en début de chantier, puis pendant les travaux, est néanmoins possible, mais réservé aux ménages très modestes (TMO) et modestes (MO), avec des seuils insuffisants pour les projets les plus ambitieux et des délais de traitement, variables en fonction des territoires, trop longs. Procivis, réseau d’acteurs de l’économie sociale et solidaire, peut également être mobilisé pour combler cette lacune dans la politique publique, mais sa capacité d’intervention est limitée.
Les banques, elles, n’auraient aucune difficulté à assurer l’avance des aides. Le Crédit Mutuel-CIC, conscient du problème, a lancé il y a un an son Préfinancement Aides Rénovations, qui permet de couvrir jusqu’au montant maximal de MPR, à 0 % (grâce à la mobilisation du dividende social du groupe). Mais cette offre doit prendre fin cette année et les banques ont besoin d’un cadre clair pour déployer une solution universelle pérenne.
C’est sur la formalisation de ce cadre que nous avons travaillé, d’abord avec l’équipe rénovation énergétique de la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes, qui a joué un rôle moteur, puis avec la Confédération nationale du Crédit Mutuel et La Banque Postale. Ce travail a fait l’objet d’une note, discutée avec les banques et services de l’État participant au GT. La Fédération bancaire française s’en est saisie. Le texte est actuellement en consultation au niveau des directions dans les différents groupes.
Pour généraliser le préfinancement des aides, les banques demandent plusieurs évolutions aux autorités publiques :
- L’application effective d’un mandat uniquement financier, qui ne serait pas en même temps administratif, pour les TMO/MO en parcours accompagné ;
- La création d’un mandat non révocable pour sécuriser le recouvrement des aides une fois leur versement effectué par l’ANAH ;
- Le gel des 35 % d’endettement sur la partie capital du prêt avance d’aides ;
- L’objectivation du risque d’écart entre aides prévisionnelles et aides versées (occurrence, delta moyen, ventilation par catégorie de revenus). Dans ce cas, la différence devra être remboursée par le ménage et pèsera donc sur son taux d’endettement.
Ce prêt in fine, remboursé au moment du versement des aides, pourrait prendre deux formes : un prêt à la main des banques, qui en fixeraient le taux, ou un prêt réglementé à taux 0, dont les intérêts seraient payés par l’État aux banques via un crédit d’impôt. Une négociation entre Bercy et les banques serait alors nécessaire pour en fixer les modalités.
II) La production de la donnée en sortie de travaux
La rénovation énergétique des bâtiments est un sujet stratégique pour les banques, au moins à trois titres :
- Prudentiel : amélioration du profil de risque crédit face à la volatilité des prix de l’énergie (que se serait-il passé en termes de défauts de paiement lors de la crise énergétique de 2022-2024 sans la mise en place d’un bouclier tarifaire ?), à la dépréciation des logements pris en caution (dans le cas d’une activation de cette garantie), à l’interdiction progressive de location des logements les plus énergivores, synonyme de perte de revenus pour les emprunteurs bailleurs qui n’auront pas fait les travaux ;
- Environnemental et social (et réputationnel) : engagement volontaire dans le cadre d’alliances type NZBA pour décarboner leur activité ;
- Financier : un marché potentiel de plusieurs milliards d’euros par an.
Le verdissement des crédits immobiliers – 1 300 des 1 500 milliards d’encours aux particuliers – est donc un enjeu majeur pour le secteur bancaire. Pour réduire leur risque et atteindre leurs objectifs climatiques, les enseignes ont besoin d’une information opposable et accessible en sortie de travaux.
La politique publique, dans le cadre d’une rénovation d’ampleur, est fondée sur un objectif de performance énergétique. Les aides sont justifiées par un audit énergétique et conditionnées à la réalisation de l’un des scénarios permettant de gagner au moins 2 étiquettes qu’il préconise. En fin de chantier, Mon Accompagnateur Rénov’ délivre au ménage une attestation établissant, sur la base des factures, la conformité des travaux réalisés avec le scénario retenu. L’ANAH peut alors verser sa prime.
Il existe donc bien une information de sortie, mais celle-ci n’a pas valeur de DPE, qui est opposable et dont le ménage peut se prévaloir lors de la vente ou de la mise en location de son bien. C’est pourquoi plusieurs banques ont insisté, au cours de nos (très) nombreux échanges consacrés à la question, sur la production d’un DPE de sortie.
L’enjeu n’est pas financier, le coût d’un DPE est marginal (de l’ordre de 150 euros) par rapport aux aides travaux (des dizaines de milliers d’euros), mais opérationnel et juridique. Recourir à un DPE, sujet à aléa, pour confirmer l’atteinte de l’objectif risque de conduire à d’interminables litiges en cas d’écart avec l’étiquette projetée dans l’audit énergétique (beaucoup plus qualitatif), alors que les travaux effectués auraient été conformes aux travaux préconisés. Les services de l’État (DHUP, ANAH et ADEME), étroitement associés aux échanges, instruisent actuellement le sujet et tentent d’apporter une solution.
Dans tous les cas, le scénario réalisé pourrait d’ores et déjà être renseigné dans la base audit de l’ADEME (pour l’heure, rien n’indique que les travaux ont été effectués), accessible à toutes les parties prenantes, ce qui permettrait aux banques d’intégrer la nouvelle performance énergétique du bien dans leurs systèmes informatiques (si un crédit immobilier lui est associé) et de quantifier l’impact de leurs prêts rénovation (notamment les écoPTZ) dans leur reporting, même si l’information ne constitue pas un DPE en tant que tel.
L’étape suivante – le travail a été engagé dans FiRéno+, mais doit se poursuivre au-delà – vise à établir la conformité des prêts à la taxonomie européenne. Ce cadre définit une activité comme durable dès lors qu’elle contribue de manière substantielle à un ou plusieurs de ces 6 objectifs : l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement climatique, l’utilisation durable des ressources marines, l’économie circulaire, la prévention/réduction de la pollution et la protection/restauration de la biodiversité et des écosystèmes, sans porter de préjudice significatif aux autres (principe du Do not significant harm ou DNSH).
En matière de rénovation énergétique, la contribution substantielle à l’objectif d’atténuation du changement climatique est fixée à 30 % d’économies d’énergie primaire minimum. Un critère qui est satisfait la plupart du temps lorsque l’on gagne 2 classes (seuil du parcours accompagné), mais pas dans toutes les configurations envisageables. Quant aux autres objectifs de la taxonomie, si l’on voit mal, a priori, comment les rénovations d’ampleur pourraient leur être préjudiciables significativement, un tiers certificateur doit, en principe, l’attester. Ce qui n’adviendra pas, en tout cas pas en maisons individuelles. Nous tentons donc actuellement de déterminer avec les différentes parties prenantes (banques, fédération bancaire, services de l’État) comment le principe du DNSH pourrait être posé, par défaut, dans le cas des rénovations énergétiques du parcours accompagné.
L’alignement taxonomique des prêts ne constitue pas une fin en soi. Si nous cherchons à confirmer que le financement des rénovations d’ampleur – et les crédits immobiliers sous-jacents en cas d’atteinte de l’étiquette A ou B – peut rentrer dans le Green Asset Ratio (GAR) des banques, soit la part de leurs actifs durables au sens de la taxonomie européenne, c’est pour ouvrir le champ à une éventuelle intervention de la Banque centrale européenne. C’est en effet sur la base d’actifs conformes à la taxonomie que l’activation d’instruments de politique monétaire “verte” (green TLTRO, collatéraux, etc.) pour stimuler la transformation écologique pourrait être envisagée. Pour continuer à avancer sur le sujet, une nouvelle après-midi d’étude, co-organisée par Agir pour le climat et Positive Money Europe et co-portée par plusieurs parlementaires, est prévue à l’Assemblée nationale à l’automne.