D’Alain Juppé à Laurent Fabius en passant par Nicolas Hulot et Manuel Carmena (maire de Madrid, Podemos), 600 personnalités politiques et scientifiques auraient déjà signé le Pacte Finance-Climat. Un texte qui imagine deux outils pour financer la lutte contre le réchauffement climatique : une banque et un fonds européen pour le climat et la biodiversité.

Dans l’auditorium de l’université de Jussieu, la salle est comble pour le grand débat du Pacte Finance-Climat, un projet lancé par l’économiste Pierre Larrouturou et le climatologue Jean Jouzel. Sur scène, Hugo Viel, porte-parole du collectif Jeunes du Pacte Finance-Climat, ouvre l’évènement. Amer, il raconte comment, après avoir subi une avanie de mensonges de la part de ses parents – « le lapin de Pâques, la petite souris ou le Père Noël » -, « les prédictions des scientifiques se réalisent enfin ».  Paradoxalement, ces prédictions, qu’il s’agisse des tsunamis et incendies à venir ou de la fonte des glaces,  sont d’après lui des « bonnes nouvelles » : « Enfin une histoire vraie, celle du dérèglement climatique ».

Le problème, concède le jeune homme, c’est qu’«on est en train de me laisser un monde dans lequel je n’ai pas de futur ». Il faut donc une solution ambitieuse, transpartisane et européenne. Et pour lui, comme pour la cinquantaine de personnalités – scientifiques, politiques, institutionnels, entrepreneurs ou représentants d’ONG – qui se succèdent à la tribune en ce 19 février, cette solution pourrait prendre la forme d’un « Pacte Finance-Climat ».

À la tribune, Laurent Fabius intervient en qualité de président de la COP21 et pointe l’insuffisance des pays à observer les termes des Accords de Paris. Pour lui, « la faute la plus grave des dirigeants de notre temps ; plus personne ne peut ignorer le caractère dramatique du réchauffement climatique ».

D’ici 30 ans, le dérèglement climatique pourrait ainsi diviser par deux les récoltes en Afrique, tandis que dans le même temps, la population du continent devrait doubler. Et ce alors même que la responsabilité de l’Afrique dans le réchauffement climatique mondial est infime. « Les générations futures nous surveillent (…) à bon droit. Nous nous comportons en somnambules », constate l’ex-Premier ministre.

« Lors de la crise de 2008, les gouvernants ont trouvé plus de 2000 milliards pour sauver la finance »

Jean-François Carenco, président de la CRE (Commission de régulation de l’énergie) abonde : « Si on n’agit pas, ils le feront à notre place », lance-t-il en désignant l’assemblée de jeunes face à lui. Quelques minutes plus tard, Elisabeth Ayrault, présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône, tranche : « Ça me fâche, mais si nous ne le faisons pas, ils (les générations futures, ndlr) ne pourront plus le faire. Ce sera trop tard ». La solution serait pourtant « scandaleusement simple », martèle colère Bruno Léchevin, directeur de campagne du Pacte Finance-Climat (et ancien patron de

Cette solution « scandaleusement simple », le Pacte Finance-Climat, repose sur une interrogation : « Lors de la crise de 2008, les gouvernants ont trouvé plus de 2000 milliards pour sauver la finance. Alors comment accepter aussi peu de moyens pour sauver notre planète ? », entend-on dans une vidéo de présentation du projet.

En Europe, 1 100 milliards d’euros auraient été injectés par la Banque centrale européenne pour aider les banques à relancer leur activité. Et dans un rapport publié en septembre 2017, la Cour des comptes évalue à 1 115 milliards d’euros la somme annuelle nécessaire, dès 2021, pour atteindre les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique fixés à l’échelle mondiale. Il s’agit donc de mettre en place une sorte de Plan

Une solution « scandaleusement simple »

Ce discours est tenu depuis décembre 2017 par l’économiste Pierre Larrouturou et le climatologue Jean Jouzel, les deux parrains de ce Pacte Finance-Climat. Concrètement, le collectif espère la signature rapide d’un traité « intergouvernemental » ou, mieux, « européen », qui établirait la création d’une banque ainsi que d’un fonds européen du climat et de la biodiversité.

Cette banque serait rattachée à la Banque européenne d’investissement (BEI). À ce jour, la BEI a consacrerait 25% de ses investissements à la lutte contre le changement climatique. La nouvelle banque du climat accentuerait donc cet engagement, en accordant par exemple des prêts à taux zéro aux pays signataires du traité. Et ce chaque année, à hauteur de 2% du PIB du pays. À titre d’exemple, pour la France, la somme serait non négligeable : 45 milliards d’euros par an pour financer la transition climatique. Dans son document cadre, le collectif renchérit sur les bénéfices potentiels de la création d’une nouvelle banque. Cela constituerait une « opportunité de financement d’investissements riches en emplois », notamment dans des secteurs comme l’isolation des bâtiments, le développement des énergies renouvelables ou l’agroécologie.

Le second outil consiste en un fonds européen climat et biodiversité dont la vocation serait de conduire « des politiques européennes à la hauteur du défi climatique » et dont l’action s’étendrait, outre l’Europe, à l’Afrique. Le collectif imagine un budget de 100 milliards d’euros par an, financé par un prélèvement sur les bénéfices avant impôt des entreprises (au-dessus d’un certain seuil de chiffre d’affaires, les petites entreprises et artisans ne seraient pas concernés). Le Pacte prévoit également une contribution variable selon l’évolution du bilan carbone de l’entreprise : « Une entreprise qui se donnerait les moyens de diminuer son bilan carbone verrait diminuer sa contribution au Fonds européen climat et biodiversité ».

Qui de nous trois ?

Au-delà du vœu pieux, le document du Pacte Finance-Climat prévoit trois scénarios d’application possibles. Dans un premier scénario, « l’option la moins crédible », cet ambitieux projet – et la nouvelle fiscalité environnementale qui en découlerait – serait porté au sein même du Conseil européen par l’Union européenne et ses États membres à l’unanimité. Le deuxième scénario prévoit quant à lui une coopération renforcée, possible à condition de rassembler au moins 9 États membres. « Compte tenu de ce que le Fonds européen climat et biodiversité financerait, [à savoir les] investissements liés à la transition écologique et un gisement important d’emplois non délocalisables », l’avantage d’un tel Pacte entre États serait évident.

« Nous avons été reçus huit fois à l’Élysée sans que rien ne change »

Enfin, un troisième scénario, le plus plausible – et c’est d’ailleurs pour cela que Pierre Larrouturou et Jean Jouzel haranguent en priorité Emmanuel Macron et Angela Merkel – prévoit un accord intergouvernemental sous forme de traité, qui serait ouvert à tous les États membres. Le « traité créant l’espace Schengen (1985) n’a été ratifié que par 5 États à son origine, avant de compter à ce jour 26 États participants ».

Sur la chaîne Public Sénat, Pierre Larrouturou rappelait le 19 février dernier que l’Union européenne est née de l’alliance de deux « ennemis » historiques, la France et l’Allemagne, sur la base de deux industries, le charbon et l’acier. « Elle pourrait donc renaître avec le climat et l’emploi ». Pour y parvenir, encore faudrait-il que l’appel, porté depuis déjà près de 15 mois auprès des plus hautes instances – « nous avons été reçus huit fois à l’Élysée, sans que rien ne change », raconte Pierre Larrouturou – soit enfin entendu.