Un soutien de poids, Philippe MAYSTADT, Président honoraire de la Banque européenne d’investissement

 

Contrepoint[1].

 

Quelle personne de bonne foi peut encore en douter ? Pour éviter les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique, nous devons lancer d’urgence un vaste plan d’investissement, ce que les auteurs baptisent « Pacte Finance Climat ». Pour autant que de besoin, leur compétence scientifique et leur capacité d’anticiper confirment cette impérieuse nécessité, à mes yeux une véritable obligation morale à l’égard des jeunes générations.

 La question qui coule de source : comment financer ce plan ? C’est un des sujets centraux de ce livre. Pour répondre correctement à la question, il faut distinguer entre deux catégories de projets : d’une part, ceux qui présentent un ROR (retour sur investissement) suffisamment élevé et, d’autre part, ceux qui requièrent, au moins pour partie, une subsidiation publique. La première catégorie demande des intermédiaires financiers ; la seconde un budget.

 Insistons d’abord sur le fait que le nombre de projets de la première catégorie augmentera sensiblement si le prix du carbone atteint un niveau suffisant pour modifier significativement les éléments de calcul du ROR. A cet égard, le pas le plus critique et le plus urgent est la réforme du système ETS. Le prix résultant du croisement de l’offre et de la demande de quotas, il faut que la Commission européenne ait le pouvoir d’augmenter ou de réduire l’offre pour éviter que le prix descende en-dessous du minimum requis pour qu’il y ait un véritable incitant (sans doute autour de 30 Euros/Tonne). La création d’un prix plancher donnerait enfin un signal clair aux investisseurs. Mais cela implique que la quantité globale de quotas soit réduite plus rapidement que ce que propose la Commission, que la plus grande partie de ces quotas soit soumis à un système d’enchères et que le nombre d’industries éligibles à des quotas gratuits soit drastiquement réduit.

On pourrait imaginer que la BEI devienne la banque du développement durable, finançant principalement la transition énergétique, la mobilité écologique et l’innovation et renonçant à financer des projets traditionnels auxquels est encore affectée une part majoritaire de ses prêts.

Le financement des projets de la première catégorie est le domaine par excellence de la Banque européenne d’investissement (BEI) et des banques publiques de développement (KfW en Allemagne, CDC en France, CDP en Italie, ICO en Espagne, …). Celles-ci peuvent assurer la gouvernance des projets d’investissement du fait qu’elles ont l’expertise nécessaire pour assumer la sélection, l’évaluation et le contrôle du suivi. Elles constituent donc des partenaires directs lorsqu’il s’agit de choisir les technologies, les montants alloués et les localisations adéquates. Ces banques peuvent attirer d’autres prêteurs et fournir un levier à la mobilisation de leurs ressources.[2]

La BEI, en raison de sa notation AAA, se finance elle-même sur les marchés à de très bonnes conditions, ce qui lui permet de prêter à son tour à des taux inférieurs à ceux de la plupart des banques. Si on veut lui permettre de prêter à des conditions encore plus favorables aux promoteurs de projets relevant du Pacte Finance Climat, deux mesures pourraient être adoptées. Premièrement, on pourrait prévoir une extension du « plan Juncker » ciblée sur ces projets, ce qui permettrait à la BEI de bénéficier de la garantie du « Fonds européen pour les investissements stratégiques ». Deuxièmement, il serait possible que la BEI se finance davantage auprès de la Banque centrale européenne (BCE).

La BEI a déjà accès au programme d’achat d’actifs par la BCE mais pour une part très limitée. On pourrait imaginer d’augmenter cette part[3]. C’est une des pistes auxquelles les auteurs accordent une grande importance. Toutefois, compte des montants envisagés, la BEI aura rapidement un problème de ratio de fonds propres. Les Etats membres, actionnaires de la BEI, devront soit participer à une nouvelle augmentation de capital, soit enjoindre à la BEI de se concentrer sur ce type de projets.

La lutte contre le changement climatique est incontestablement un bien public européen.

Même si c’est politiquement difficile, on pourrait imaginer que la BEI devienne la banque du développement durable, finançant principalement la transition énergétique, la mobilité écologique et l’innovation et renonçant à financer des projets traditionnels auxquels est encore affectée une part majoritaire de ses prêts.

Pour la seconde catégorie de projets, ceux qui requièrent un subside public, les auteurs plaident à juste titre pour une augmentation du budget européen et ils proposent de le financer par une nouvelle ressource propre : un impôt européen sur les bénéfices des sociétés.

Personnellement, je partage leur point de vue[4], étant entendu que le taux sera déterminé en raison des besoins, c’est-à-dire du volume de subsides nécessaires pour réaliser à temps les projets prioritaires relevant de la seconde catégorie mais aussi en fonction de la version finale de l’harmonisation de la base imposable : plus la base est large (comme le propose la Commission), plus le taux peut être bas.

Pour que ces propositions soient effectivement mises en œuvre, il faut une volonté politique d’un nombre suffisant d’Etats membres qui, à défaut d’unanimité, pourraient se réunir dans une « coopération renforcée » et remplir la mission de base de toute puissance publique : créer ou permettre la création de biens publics.

La lutte contre le changement climatique est incontestablement un bien public européen. Il serait donc pleinement justifié que sa production soit mise en œuvre à travers un processus démocratique dont l’élément cardinal serait le vote du budget.

 

 Philippe MAYSTADT

 Ministre d’Etat belge,

 Président honoraire de la BEI, Banque Européenne d’Investissement,

 Membre de l’Académie royale de Belgique.

 

 [1] Ceci est la postface rédigée par Philippe MAYSTADT pour le livre de JOUZEL & LARROUTUROU publié en décembre 2017. « Contrepoint » au sens musical du terme. Selon le Petit Robert, « un motif secondaire qui se superpose à la mélodie principale comme une sorte d’accompagnement ».

[2] En ce sens, M. AGLIETTA et N. LERON : La double démocratie. Une Europe politique pour la croissance, Paris, Seuil, 2017, p. 162.

[3] En ce sens, N. VALLA , J. BERG, L. CLERC, O. GARNIER & E. NIELSEN : « A holistic approach to ECB asset purchases, the Investment Plan and CMU », Policy Brief, CEPII, n°7, avril 2015, p. 7.

[4] Pour ma propre analyse, voy. Ph. MAYSTADT : L’euro en question(s), Bruxelles, Ed. Avant-Propos, 2015, pp. 94-95.

 

Philippe MAYSTADT nous a quittés le 7 décembre 2017.

Il se battait depuis plusieurs années contre une maladie incurable des poumons, qui rendait sa respiration de plus en plus difficile. Un très grand nombre de Belges et d’autres Européens ont eu envie de pleurer quand ils ont appris la mort de Philippe.

Au lendemain de sa disparition, la presse belge s’est fait l’écho d’une multitude de témoignages, très touchants, venus de toutes les sensibilités politiques et sociales du pays.

Philippe MAYSTADT était connu comme le grand Ministre des finances qui avait « remis de l’ordre » dans les finances de la Belgique mais il s’inquiétait toujours des plus fragiles et, même quand il était au sommet du pouvoir, il ne cessait jamais de les rencontrer, de les écouter et de faire tout ce qu’il pouvait pour aider tel ou tel qui l’avait sollicité…

Lui qui était Ministre d’Etat, a refusé l’hommage national à Bruxelles et a demandé que le dernier hommage ait lieu au Bois du Cazier, un haut lieu de l’histoire sociale belge, illustration de la condition et de l’immigration ouvrière. La catastrophe du 8 août 1956 qui fit 262 victimes originaires de 12 pays différents, dans cette mine de charbon illustre bien la dureté du travail des « gueules noires ». Un certain nombre d’anciens mineurs entouraient le cercueil de Philippe le 11 décembre.

Il soutenait ce projet de Pacte européen pour le Climat depuis quatre ans. Durant l’automne 2017, alors que, certains jours, la maladie l’empêchait de parler, Philippe a puissamment aidé Jean JOUZEL et Pierre LARROUTUROU à préciser le financement du Pacte et à peaufiner leur argumentaire. Il a rédigé la postface de leur livre et, 5 jours avant de nous quitter, il écrivait encore un mail à un haut dirigeant de ses amis pour l’inviter à rejoindre notre combat.

Sans jamais se plaindre, en disant jusqu’au bout le plaisir qu’il avait eu à vivre avec ses enfants et son épouse, Philippe fut, jusqu’au bout, un homme au service des autres. On ne saurait trop louer sa gentillesse, son intelligence, sa générosité et son humanisme.