Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ont remis, fin mai, au gouvernement un rapport sur “Les incidences économiques de l’action pour le climat”. Ils affirment que “…la neutralité climatique est atteignable” et que la transformation “sera pilotée par les politiques publiques et non par les innovations technologiques et par les marchés”. Cette transformation repose sur trois mécanismes économiques : la réorientation du progrès technique vers les technologies vertes, la sobriété […] et la substitution de capital aux énergies fossiles… (car la principale caractéristique des énergies de substitution aux énergies fossiles, renouvelables et nucléaire, est de demander de lourds investissements pour des coûts d’exploitation faibles pour les renouvelables).

L’effort d’investissement nécessaire des entreprises, des ménages et de l’État est estimé à 67 milliards d’euros par an (2,5 % du PIB) pour atteindre l’objectif fixé par l’Union européenne de -55 % de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990.  Environ la moitié de cette somme relèverait des finances publiques d’après les auteurs. Comme ces investissements n’accroîtront pas le potentiel productif global de la France, du moins à court terme, il en résultera un effet négatif de productivité et sans doute un risque inflationniste supplémentaire.

Un financement peu orthodoxe : Comment financer l’action climatique puisqu’on ne peut miser pour cette transition sur la croissance économique (faible dans les années à venir) et qu’elle ne pourrait être supportée par les classes modestes sans l’apport de l’État ? Les auteurs préconisent trois sources de financement :

  • Un remplacement des dépenses “brunes” de l’État défavorables à l’environnement (supérieures à 10 milliards d’euros en 2023 sans compter le coût de la non taxation du kérosène). 
  • Un accroissement de l’endettement public de l’ordre de 9 points de PIB en 2030 et 25 points en 2040 (dont un tiers dû au ralentissement de la croissance qui diminue les recettes fiscales). 
  • Et un prélèvement fiscal “exceptionnel et temporaire” de 5 % sur le patrimoine financier des 10 % des ménages les plus aisés qui “serait calibré en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques”.

Ce rapport va à l’encontre du mantra du gouvernement (pas de dette publique supplémentaire ni d’impôt sur la fortune) et probablement pour cette raison n’a été relayé par aucun ministre. Mais il représente une contribution intéressante qui fait avancer le débat. Avec certes des points faibles :

  • L’impôt nouveau sur le patrimoine financier ne procurerait que 5 milliards par an, nettement en deçà des besoins, même s’il dure pendant 30 ans.
  • L’évaluation est faible sur la mobilité décarbonée trop exclusivement focalisée sur la voiture électrique alors qu’il faudrait 10 milliards par an de lignes ferroviaires et peut-être la gratuité ferroviaire qui elle coûterait 30 milliards par an.
  • Et surtout, si la nécessité de la sobriété est évoquée plusieurs fois, l’action pour réduire la demande de biens et produits carbonés n’est pas décrite autrement que par un recours éventuel au signal-prix (taxe carbone et quotas amont ou industriels) et la nécessité d’agir sur les biais de comportement.

On notera que les auteurs n’ont fait qu’évoquer l’alternative des quotas en volumes à la taxe carbone (compte carbone ou budget carbone individuel) alors que cette alternative, si elle n’a jamais été déployée encore à l’échelle d’un pays, a été étudiée en détail par les Britanniques en 2010 et est portée par plusieurs associations et collectifs en France (“Les alliés du compte carbone”). 

Ces derniers ont d’ailleurs fait une réponse à la tribune publiée par Selma Mahfouz dans Le Monde , laquelle craignait la difficulté de rentabilité des investissements des particuliers : avec le mécanisme de compte carbone ils affirment que la valeur d’échange des points carbone (la monnaie carbone à créer dans ce mécanisme) raccourcirait considérablement le retour sur investissement (ROI) selon le calcul détaillé ci-dessous pour une pompe à chaleur.

Calcul du retour sur investissement pour l’installation d’une pompe à chaleur

Une pompe à chaleur s’amortit en 4 ans et non en 20 ans comme actuellement. Prenons le cas d’une pompe à chaleur à installer sur une maison moyennement isolée consommant 1 400 litres de fuel coutant 1 800 EUR/an. Le coût de la pompe à chaleur est de 20 000 EUR, elle entraîne une consommation électrique de 4 000 kWh/an soit 1 000 EUR/an. Son retour sur investissement aujourd’hui est 20/0,8 soit 25 ans. Les 1 400 litres de fuel généraient 4,5t/an de CO2, à 1 000 EUR la tonne c’est une valeur de 4 500 EUR de monnaie carbone qui serait économisée, alors le retour sur investissement devient 20/(0,8+4,5) = 3,8 ans.

Il est donc important d’associer un mécanisme de financement recommandé par leur rapport et un mécanisme de monnaie carbone qui le complète.