Bilan mitigé, sentiment d’inachevé, déception, texte minimal… Ce sont là les qualificatifs que nous livrent la presse, les ONG, les think-tanks à l’issue de cette COP 30 qui s’est achevée le 22 novembre dernier à Belém, aux portes de l’Amazonie. À la lecture des nombreux comptes rendus publiés à l’issue de cette Conférence Climat organisée 10 ans après l’accord de Paris, et à travers ce que j’y ai vécu, j’ai surtout retenu un autre terme emprunté aux journalistes du Monde : “conférence plate”. Qu’à la fin de la première semaine consacrée en grande partie aux échanges techniques, aucune avancée marquante ne puisse être mise en avant n’est pas inhabituel. Mais ce sont trop peu de résultats tangibles – généralement négociés en deuxième semaine pour être avalisés le tout dernier jour – qui peuvent être mis au crédit de cette COP.
Depuis 2001, j’ai participé avec la délégation française – au titre d’expert scientifique et non pas de négociateur – à toutes ces COP Climat (sauf celle de Bakou l’an dernier) en choisissant, sauf rares exceptions, de m’y rendre la seconde semaine avec l’espoir d’avancées significatives. Les résultats se sont généralement avérés trop éloignés de ceux qui devraient naturellement découler des constats que délivre notre communauté scientifique à travers les rapports successifs du GIEC, mais j’ai néanmoins vécu ces conférences comme des moments riches et passionnants. Même pour celles – je pense à Copenhague en 2009 – qui ont laissé un sentiment d’échec. À Belém, avec une organisation loin d’être optimale – hors de prix au niveau de l’hébergement, intrusion de manifestants la première semaine, climat tropical et chaleur étouffante assez difficiles à supporter, fuite d’eau en salle lors des grosses pluies, zone verte sans grand intérêt – cette seconde semaine était plutôt ennuyeuse car sans moments forts sur le plan des négociations. À un point tel que, comme seul événement marquant, l’on aurait tendance à retenir cet incendie massif qui s’est déclaré dans la zone des pavillons, entraînant l’évacuation de l’ensemble des participants de la COP et révélant des failles majeures de sécurité (absence d’alarme incendie, confusion des informations). Avec un collègue, nous étions à déjeuner à quelques centaines de mètres et c’était assez impressionnant.
Quelques bons moments néanmoins pour ce qui me concerne. Il y a deux ans, la Cité des sciences et de l’industrie a mis sur pied, à la Villette, une exposition permanente autour de “l’Urgence Climatique”. Dans le cadre de la saison française au Brésil, cette exposition, dont j’ai assuré le commissariat scientifique, a été adaptée au contexte brésilien et présentée à Brasilia et à Belém. Et cela a été pour moi un plaisir de participer à une table ronde autour de cette version brésilienne tout à fait remarquable et bienvenue dans le contexte de la COP. Cette COP a aussi été l’occasion d’échanges avec des collègues français et étrangers et – ce sont ceux que j’apprécie le plus – avec des jeunes très concernés par les conséquences du réchauffement climatique à l’échelle des prochaines décennies. De très bons moments également au sein de cette délégation française très accueillante et bien organisée.
Au-delà des défis logistiques liés à leur volonté d’organiser la COP en Amazonie, les Brésiliens ont dû faire face à des attentes divergentes des 193 pays plus l’Europe représentés et rattachés à différents groupes d’intérêt. Ils sont parvenus non sans difficultés à un document “Mutirão” dont le titre est tiré d’un concept autochtone – les populations autochtones se sont d’ailleurs fortement mobilisées – désignant la mobilisation collective. Ce texte, qui constitue la décision principale de la conférence, et les documents annexes témoignent cependant d’avancées notables parmi lesquelles :
- L’adoption du mécanisme de Transition juste. Cette décision qui vise à favoriser la coopération internationale intègre le texte le plus ambitieux, dans l’histoire des négociations climatiques, en matière de protection des droits humains (travail, peuples autochtones), de justice sociale et d’inclusion.
- Un accord conclu pour tripler le financement de l’adaptation (l’aide des pays riches aux pays vulnérables pour faire face aux impacts climatiques), avec un objectif d’environ 120 milliards de dollars à 2035. Belém n’a cependant pas réussi à passer de l’ambition à la mise en œuvre, cette décision étant marquée par un horizon lointain, l’absence d’année de référence et une formulation peu contraignante.
- Le lancement, hors négociations formelles, d’un fonds d’investissement visant à rémunérer les pays qui maintiennent leurs forêts intactes.
- L’adoption d’un nouveau plan d’action pour l’égalité des sexes, d’un plan d’action “santé” en vue de bâtir, face au réchauffement climatique, des systèmes de santé résilients, d’un programme de mise en œuvre des technologies, ainsi que le lancement de nouveaux travaux sur l’alignement des flux financiers.
Ces avancées sont loin d’être négligeables mais l’objectif premier de cette COP était de relever l’ambition en matière d’atténuation du réchauffement climatique et donc de diminution de nos émissions de gaz à effet de serre. En effet, l’accord de Paris s’est construit à la fois autour d’objectifs – limiter à long terme le réchauffement climatique bien en deçà de 2 °C par rapport à la période préindustrielle, et poursuivre l’action pour la limiter à 1,5 °C – et d’engagements volontaires qui portaient aussi bien sur l’atténuation que sur l’adaptation. Sans surprise ces contributions nationales n’étaient pas à la hauteur des objectifs avec, à horizon 2030, des émissions envisagées de 55 milliards de tonnes d’équivalent CO2, 15 milliards de trop par rapport à une trajectoire compatible avec +2 °C, près du double pour garder la possibilité de limiter à 1,5 °C.
Face à ce fossé bien identifié entre engagements et objectifs, l’accord de Paris inclut un mécanisme de révision de ces contributions nationales à mettre en œuvre tous les 5 ans. Cette révision doit systématiquement se traduire par des contributions chaque fois plus ambitieuses. Dix ans après Paris nous en étions à la seconde révision et la COP 30 se devait donc de traduire cette ambition sur la période 2030-2035. Force est de constater que nous sommes loin du compte. La plupart des contributions ont été soumises avec un retard considérable par rapport à la date prévue et leur ambition collective reste insuffisante pour atteindre les objectifs de l’accord. Non seulement de nombreux pays ont soumis leurs plans au tout dernier moment, mais début décembre, 75 pays dont certains importants – Arabie Saoudite, Inde… – ne l’ont toujours pas fait. D’après Climate Action Tracker, 118 pays ont joué le jeu mais entre 2030 et 2035 cette révision ne fera gagner qu’un peu plus de 3 milliards de tonnes d’équivalent CO2. Et ce sont des diminutions d’émissions respectivement 6 et 9 fois supérieures qu’il faudrait atteindre pour rester à cette échéance sur des trajectoires, 2 °C et 1,5 °C, compatibles avec l’accord de Paris.
S’y ajoute le fait que de nombreuses délégations ont, sans succès, plaidé en faveur d’une référence à l’élimination progressive des combustibles fossiles inscrite pour la première fois, il y a deux ans à Dubaï, dans la déclaration finale de la COP 28. Mais ni cette référence, ni les dispositions relatives à l’arrêt et à l’inversion de la déforestation, qui bénéficiaient également d’un large soutien, n’ont été retenues dans la décision adoptée.
L’Europe s’est focalisée sur ce volet atténuation, plaidant, en pure perte, en faveur de cette mention à une sortie progressive des énergies fossiles et d’un processus plus clair sur le relèvement de l’ambition. Au point d’envisager la rupture mais sans aller jusqu’au bout même si ces demandes n’ont pas été satisfaites. Malgré son niveau d’ambition et son engagement pour la finance climat, l’Europe pèse beaucoup moins dans les négociations qu’au moment de l’accord de Paris. Un axe Chine-Europe, qui aurait pu être envisagé suite au retrait des États-Unis, ne s’est jamais concrétisé. Au contraire, la Chine a de façon récurrente reproché à l’Europe la mise en place du mécanisme d’ajustement aux frontières plaçant ces négociations climat sous l’angle des échanges commerciaux. D’ailleurs, une série de conférences portant sur le renforcement de la coopération internationale relative au rôle du commerce est envisagée en 2027 et 2028, avec la participation de l’Organisation mondiale du commerce.
Le retrait annoncé des États-Unis de l’accord de Paris – effectif en janvier 2026 – le climato-scepticisme et le mépris de la science manifestés par Donald Trump et son administration, ont manifestement pesé sur ces négociations. Et ce, bien au-delà de l’abandon programmé des engagements de ce pays. Quelques semaines avant la COP 30, un accord international sur les émissions du transport maritime était sur le point d’être signé, mais cette signature a été reportée sous la pression des États-Unis. C’est cette même pression qui, pour ses projections sur la demande mondiale d’énergie, a conduit l’Agence internationale à l’énergie à réintégrer un scénario émetteur qui n’envisage pas de diminution des émissions de CO2 d’ici 2035, au moins.
Le document final de la COP 30 fait état d’une trajectoire qui conduirait à un réchauffement de l’ordre de 2,3 – 2,5 °C mais au vu de telles projections un réchauffement planétaire autour de 3 °C, soit +4 °C dans notre pays, ne peut certainement pas être exclu.
