La Première ministre a présenté le 22 mai des objectifs chiffrés par secteur, afin de conformer la politique française de lutte contre le dérèglement climatique aux objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour satisfaire ses engagements européens, la France doit réduire ses émissions de dioxyde de carbone (CO2) d’ici à 2030 de 50 % par rapport à 1990, afin d’arriver à 270 millions de tonnes équivalent CO2 (MteCO2), contre 408 millions en 2022. Soit une baisse deux fois plus importante dans les huit prochaines années que celle réalisée en plus de trente ans.

Le secteur du bâtiment devra réduire ses émissions de 53 % par rapport à 2022. C’est un objectif cohérent avec l’objectif général mais qui est une révolution copernicienne si l’on regarde les tendances récentes du secteur. Dans les annonces de Mme Borne, rien n’est précisé sur les moyens à mettre en œuvre pour réduire les émissions du secteur du bâtiment. Des dispositifs coûteux ont déjà été mis en place : MaPrimRénov’, CEE, taux de TVA réduit, éco-PTZ, parfois complétés par des aides régionales ou locales. Ils représentent autour de 7 milliards d’euros par an. Mais leur efficacité est très limitée, voire dérisoire, et absolument pas évaluée. L’explication, selon Agir pour le climat, réside principalement dans la focalisation aux aides accordées aux « mono gestes » qui consistent la plupart du temps à installer une pompe à chaleur, parfois performante, sur un bâtiment non isolé, voire sur une « passoire thermique ». Les conséquences peuvent être très négatives sur la demande en électricité, notamment en période de pointe de consommation, sans résoudre le problème de la précarité énergétique des ménages à faible revenu. Ce même 22 mai était publié le rapport de France Stratégie rédigé par l’économiste Jean Pisani-Ferry et l’inspectrice des finances Selma Mahfouz sur Les incidences économiques de l’action pour le climat.

Retenons-en quelques grandes conclusions

« La neutralité climatique est atteignable. Y parvenir suppose une grande transformation, d’ampleur comparable aux révolutions industrielles du passé. Mais au regard de celles-ci, cette transformation sera globale, plus rapide, et elle sera pilotée d’abord par les politiques publiques et non par les innovations technologiques et les marchés.

Nous ne sommes pas durablement condamnés à choisir entre croissance et climat. À long terme, la réorientation du progrès technique peut conduire à une croissance verte plus forte que ne l’était ou que ne l’aurait été la croissance brune. La chute du coût des énergies renouvelables est l’indice qu’une nouvelle croissance est possible.

Pour atteindre nos objectifs pour 2030 et viser la neutralité en 2050, il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans. L’accélération est brutale, tous les secteurs vont devoir y prendre leur part. Pour se contraindre à tenir leurs engagements, l’Union européenne et la France devraient s’imposer le respect de budgets carbone, pas seulement de cibles en 2030 et 2050.

Dans les dix ans à venir, la décarbonation va appeler un supplément d’investissements d’ampleur (plus de deux points de PIB en 2030, par rapport à un scénario sans action climatique). Malgré des progrès récents, nous ne sommes pas encore sur la trajectoire de la neutralité climatique.

Plus largement, la transition induira un coût en bien-être que les indicateurs usuels (PIB) mesurent mal. Les réglementations ne sont pas plus indolores que la tarification du carbone.

La transition est spontanément inégalitaire. Même pour les classes moyennes, rénovation du logement et changement du vecteur de chauffage d’une part, acquisition d’un véhicule électrique en lieu et place d’un véhicule thermique d’autre part, appellent un investissement de l’ordre d’une année de revenu. Même si l’investissement est rentable, il n’est pas nécessairement finançable sans soutien public. Le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s’il est équitablement réparti. »

Le recours au financement public devra inévitablement être augmenté particulièrement dans les secteurs du logement et des transports, et les sources de ce financement méritent un vrai débat. Le rapport de France Stratégie évoque, outre l’augmentation de l’endettement de l’État, le recours à un « ISF vert », qui concernerait les populations les plus fortunées de façon temporaire. Le principe de faire payer les plus riches, qui sont souvent les plus émetteurs, devrait faire consensus dans la population. Ce serait une solution pour ne pas relancer le débat sur la contribution climat-énergie, la taxe carbone pour être clair. Rappelons que cette taxe, qui existe depuis 2014, était basée sur une croissance programmée de son montant et que la crise des gilets jaunes a stabilisé son niveau à 44,8 €/tCO2. Elle a l’énorme mérite de taxer les comportements émetteurs et, donc, d’envoyer un signal prix dont l’année 2022 a montré l’efficacité pour faire baisser les consommations d’énergies fossiles. Elle touche les consommateurs d’autant plus fort qu’ils émettent beaucoup de gaz à effet de serre, donc plus généralement les classes aisées que les classes modestes, qui sont cependant plus pénalisées proportionnellement à leur niveau de revenu. Le grand défaut de cette contribution climat énergie est qu’elle n’a aucun effet redistributif. Il conviendrait donc d’affecter tout ou partie du produit de cette taxe aux populations les moins favorisées pour leur permettre de supporter l’augmentation du prix de l’énergie qu’elle engendre, de préférence en renforçant les dispositifs favorisant la rénovation performante des logements ou l’acquisition de véhicules peu émetteurs. De nombreux économistes de l’énergie préconisent de relancer la dynamique de la contribution climat énergie en veillant à gommer son défaut originel.

Le financement de la transition écologique est de toute façon incontournable. Comme le dit Pascal Canfin, une transition non financée n’est pas une transition. Les différentes options pour la financer en la rendant socialement équitable, dont la taxation sur les transactions financières au niveau européen, méritent un vrai débat et aucune ne doit être écartée d’un revers de la main.