Si les avancées limitées du projet de budget 2023 en matière de transition énergétique sont souvent soulignées, l’ordre de grandeur des soutiens pro-fossiles et les incohérences avec le plan « sobriété » restent largement sous-estimés. Au-delà des niches fiscales bien documentées et régulièrement débattues (exonération du kérosène, réductions gazole, etc.), deux autres types de freins majeurs pourraient encore être aggravés :

  1. Les impacts négatifs et les incohérences des politiques tarifaires, de plus en plus « pro-fossiles »,
  2. La surestimation des montants et effets de certains soutiens a priori « favorables » à la transition.

En effet, la prise en compte des différents travaux d’évaluation indique un écart (négatif) en forte croissance entre les soutiens favorables vs. défavorables aux énergies fossiles (et à la consommation d’énergie en général), en totale contradiction avec les enjeux actuels et malgré des alternatives efficaces à portée de main :

 

Principaux soutiens favorables et défavorables à la transition énergétique

Principaux soutiens favorables et défavorables à la transition énergétique

*Y compris soutiens aux renouvelables « historiques » engagés avant 2018 (nettement plus coûteux) | **Voir les détails sur cet avantage dans la note sur les politiques de mobilité| ***Aide fiscale « gros consommateurs » de gaz (0,5 Md), CEE et MPR pour les chaudières gaz (~0,6 Md) et subventions cogénération gaz (~0,7 Md). Périmètre : Soutiens annuels de tous types de l’État et des collectivités, hors fonctionnement des transports en commun, bâtiments publics, nucléaire et R&D.

Sources : Dépenses fiscales, PAP Écologie 2023, Comptes Transports, Énergie et Agriculture, Bilans Anah, CEE, CSPE et fonds chaleur, ART et LOM.

Les impacts majeurs et sous-estimés des politiques « tarifaires »

Après plus de 25 Mds € en 2022(1), le coût des boucliers tarifaires en 2023 est estimé par le gouvernement à 45 Mds €, afin de limiter à 15 % la hausse des tarifs réglementés (contre une prévision de +120 % par rapport à fin 2021 sans bouclier). Ce coût global reste très incertain et pourrait être inférieur de 30 à 50 % selon l’évolution des prix de gros d’ici décembre. De l’autre côté, la hausse des prix de l’électricité implique de nouvelles recettes liées aux renouvelables (au moins 4,3 Mds € de recettes pour 2022), dont la plupart sont devenus nettement moins chères que le prix de marché(2). Ces recettes liées aux dispositifs de soutien des renouvelables sont déduites par le gouvernement pour estimer le coût « net » des boucliers, mais avec des données et méthodes particulièrement opaques et incohérentes(3).

Au-delà des incertitudes sur leur coût public, ces boucliers sont certes nécessaires pour les ménages les plus contraints, mais leurs impacts négatifs sont massifs et vont être encore aggravés par rapport à 2022 :

  • Les boucliers prévus impliquent une aide supérieure de plus de 800 euros pour les plus aisés, soit plus de 3 fois le montant moyen 2022 du chèque énergie pour les 40 % les plus modestes (250  euros pour 12 M de ménages en 2022). En effet, si la facture d’énergie des plus aisés est moins élevée en proportion de leur revenu, elle est en valeur 50 % plus élevée que celle des ménages modestes, voire 70 % plus élevée selon l’enquête PEPSI. Le « gain » moyen lié aux boucliers de 2023 étant estimé par le gouvernement à environ 2 000 euros, l’aide sera de +/-1 700 euros pour les plus modestes… mais dépassera 2 500 euros pour les plus aisés.
  • Le maintien de boucliers généraux est incohérent avec le message de « baisse des températures » du plan « sobriété ». Ce plan repose pour l’essentiel sur un rappel des consignes de température (et d’éclairage), mais ne propose aucun moyen d’action, alors qu’une hausse des prix de 30 % pour les ménages aisés pourrait réduire de 10 % leur consommation (selon les études du CGEDD). À l’inverse, environ 1/3 des ménages se chauffe déjà à 19° ou en dessous selon l’enquête Phébus (p. 32), ce qui rend peu pertinente, voire dangereuse pour la santé une nouvelle baisse de température dans la plupart des logements mal isolés (voir Anses moisissures).
  • Les tarifs du gaz restent peu élevés (90 euros le Mwh, soit 2 fois moins que l’électricité et 40 % de moins que le bois granulé) et régressifs (le prix du Mwh augmente pour les consommations réduites), ce qui diminue fortement les gains monétaires liés aux rénovations performantes (et donc le temps de « retour sur investissement ») et dissuade la conversion des modes de chauffage vers la chaleur renouvelable (bois-énergie ou pompes à chaleur).
  • Les tarifs du bois ne sont toujours pas régulés, avec un prix du granulé passé en un an de 300 à plus de 700 euros la tonne (soit plus de 150 euros le Mwh). Cette inflation majeure est paradoxalement « sans bouclier » alors qu’elle concerne des ménages souvent modestes et qu’elle entrave la dynamique observée depuis début 2021. Le bois est pourtant de loin la 1re énergie renouvelable et ressource stratégique française, avec un potentiel durable supplémentaire d’ici 2035 estimé à au moins +60 % pour le bois-énergie(4) et +20 % pour la construction(5).

Comme pour 2022, il serait pourtant possible de :

    1. Étendre et renforcer le chèque énergie, afin de neutraliser l’impact d’une hausse de tarifs pour les ménages les plus contraints (modestes et locataires) et d’atténuer cet impact pour les ménages aux revenus moyens. Par exemple, un chèque allant de 200 à 1 200 € par an pour environ 20 M de ménages moyens et modestes pourrait couvrir 50 à 100 % de l’augmentation probable des prix réglementés (plutôt +70 % que +120 %, voir plus haut), en complément d’un bouclier partiel centré sur l’électricité (limitant par exemple la hausse du tarif réglementé à 30 % vs. 70 %).
    2. Limiter les boucliers généraux à un plafonnement partiel de l’électricité : les 10 M de ménages plus aisés pourraient également bénéficier de ce bouclier partiel sur l’électricité, dans la mesure où le Mwh dépasse déjà les 180 euros TTC, soit 2 fois le prix du gaz pourtant fossile et importé. En revanche, même avec une hausse de 100 % (hors bouclier), le prix du gaz sera à peine supérieur aux prix actuels de l’électricité et du bois granulé, ce qui serait un peu moins incohérent… et inciterait les plus aisés à engager des rénovations performantes.
    3. Rendre progressifs les tarifs du gaz et de l’électricité, afin d’inciter à la modération des consommations et rendre plus « rentables » les rénovations énergétiques. Par exemple, avec un prix de l’énergie diminué de 50 % avant 10 Mwh/an (pour une maison moyenne) et augmenté de 50 % au-delà, les gains sur la facture de gaz d’une rénovation performante de 30 000 euros passeraient en moyenne de +/-1 000 €/an(6) à 1 500 €/an.
    4. Réguler les tarifs et productions du bois, en généralisant les « contrats d’approvisionnement » de l’ONF afin de garantir des productions et prix encadrés de la part de l’ensemble des exploitants et intermédiaires du bois. Cette ressource stratégique pour la construction et l’énergie doit être conservée pour le marché français, en complément d’un soutien aux investissements des scieries (dont les moyens de production sont sous-dimensionnés et actuellement déjà saturés).
Le maintien de boucliers généraux est incohérent

Le maintien de boucliers généraux est incohérent avec le message de « baisse des températures » du plan « sobriété »

Les surestimations des dépenses affichées comme « favorables »

Les impacts négatifs des boucliers tarifaires sont supposés être en partie contrebalancés par l’augmentation affichée de certains soutiens à la transition énergétique. Pourtant, l’examen des documents budgétaires indique plutôt une stagnation des moyens, sans précision à ce stade sur les dispositifs les plus efficaces :

Annoncés en hausse de 500 M€ dans le PLF 2023, les moyens pour la rénovation énergétique des logements privés sont encore incertains. Ils ont même en réalité diminué en 2022. En effet, les aides Ma prime Rénov’ proviennent de plusieurs lignes budgétaires et sont généralement complétées par des CEE (Certificats d’Économie d’Énergie), dont les dépôts ont chuté de 40 % sur les derniers mois (Copil CEE p.6) et dont les prix sont en baisse de plus de 20 %. Surtout, les moyens ex-Habiter Mieux (renommés MPR « Sérénité ») ciblés sur les rénovations performantes restent à ce jour incertains (ils devraient être votés par l’Anah en décembre). Sur cet ensemble (très) complexe de moyens financiers (qui incluent également 2 Mds € de TVA réduite), seuls 15 % étaient prévus pour ces rénovations « performantes » en 2022, malgré des gains énergétiques 5 à 6 fois supérieurs à ceux des travaux soutenus par MPR et les CEE (ONRE 2021) et des effets d’aubaine nettement moindres. Or sur ces moyens théoriques déjà contraints, de nombreux territoires ont vu leur budget « Habiter Mieux » limité de plus de 20 % en 2022, à rebours des annonces nationales de fin 2021. En raison de ces restrictions budgétaires et/ou de la concurrence des aides aux « petits travaux » (nettement mieux financés, jusqu’à « 1 euro » de reste à charge), les résultats du 1er semestre 2022 sont décevants, avec seulement 15 000 rénovations performantes de maisons aidées (contre plus de 45 000 en 2021), alors que les aides aux rénovations énergétiques de copropriétés chutent à 4 300 logements (contre plus de 12 000 en 2021 et un objectif de… 28 000 en 2022).

Par ailleurs, les 150 M€ annoncés pour la rénovation des bâtiments de l’État en 2023 sont très inférieurs aux moyens engagés précédemment, y compris avant le plan de relance (+/- 200 M€ par an pour les cités administratives, puis plus de 800 M€, notamment pour les universités depuis 2019). Sachant qu’une part non précisée de ces investissements concernent des travaux non-énergétiques (ex. mises aux normes électricité, amiante, restructurations…, voir la note précédente sur les enjeux du plan Sobriété), qui semblent représenter au moins la moitié de ces enveloppes affichées comme « énergétiques ».

Enfin, les 1,5 Md € annoncés pour le Fonds Vert Collectivités semblent en revanche relever d’une hausse des moyens financiers, mais il reste à préciser la part des autres subventions auxquelles ils se substituent. Par exemple, ce fonds intègre le financement de la stratégie nationale biodiversité (150 M€) ainsi que la rénovation des bâtiments publics des collectivités qui était soutenue à hauteur de 200 M€ par an depuis 2020 : quel montant sera ajouté sur ce domaine ? Sur seulement un an ou chaque année ? Avec quelle part de travaux non-énergétiques ?

Sur ce volet subventions, il est encore temps d’engager des transformations efficaces à la hauteur des enjeux :

  1. Réorienter l’ensemble des soutiens aux travaux énergétiques vers les rénovations performantes et globales et les renforcer avec des aides modulées selon les revenus des propriétaires et l’ambition des travaux. Complétées par un accompagnement gratuit, plusieurs expériences locales ont montré que des aides importantes et ciblées permettraient d’atteindre un rythme de 700 000 logements/an rénovés avec un gain moyen d’au moins 20 Mwh/an (soit d’ici 2030 l’équivalent de plus de 60 % du gaz et du fioul consommé par les logements), pour un surcoût d’environ 8 Mds/an (voir la campagne Unlock). Sachant que ce potentiel serait même nettement plus important avec des politiques tarifaires moins contre-productives, comme nous l’avons vu plus haut.
  2. Pour le tertiaire, les propriétaires publics devraient augmenter le rythme des rénovations énergétiques de leurs bâtiments afin de le rendre compatible avec les objectifs fixés par l’État lui-même. Cela implique pour l’État de passer d’environ 1 Mm² (l’équivalent de 10 000 logements) rénovés de manière performante chaque année à au moins 3 Mm² (afin d’approcher les 90 Mm² en moins de 30 ans) et d’aider les collectivités à également tripler leur rythme de rénovations globales.
Des aides toujours favorables à l’agriculture intensive

Des aides toujours favorables à l’agriculture intensive et une réduction des aides à l’agriculture bio

Des moyens toujours marginaux pour les transitions de l’agriculture et des transports

Si la crise actuelle est centrée sur le gaz et l’électricité, le secteur des transports (30 % des consommations d’énergie et 33 % des émissions de GES) est quasi-absent de ce budget 2023. Peu d’évolution des malus (pourtant 4 fois inférieurs aux besoins selon l’évaluation d’I4CE) et des engagements ferroviaires qui sont même en baisse de 330 M€ (pour les trains d’équilibre du territoire, le fret et les transports collectifs en Île-de-France, voir les budgets Écologie 2022 et 2023, actions 44 et 45). Seul le plan vélo est mis en avant avec « fierté » dans le dossier de presse qui affiche +250 M€, mais celui-ci n’apparaît pas dans les documents budgétaires. Ces nouveaux moyens pourraient toutefois être votés par l’AFITF d’ici la fin de l’année, en espérant qu’il s’agira bien de 250 M par an et non d’un budget pluriannuel engagé en 2023, comme pour les aides de l’État aux nouvelles lignes de transports en commun.

Des moyens supplémentaires sont tout de même prévus pour les véhicules propres (+800 M par rapport à 2022, qui était une année « basse », soit +400 M par rapport à la moyenne 2019-2021), principalement pour le « leasing social » promis lors de la campagne. Mais les modalités de ces aides « restent à définir » (voir PAP Écologie p. 375) et seulement 30 M pour 2023 sont évoqués, voire un démarrage en 2024. La seule précision du PLF 2013 est la baisse du bonus électrique (-1 000 €, soit 5 000 € pour un véhicule de particulier)… amendée depuis par l’annonce présidentielle d’une hausse à 7 000 € pour les ménages « modestes ». Peut-être un oubli rappelé par les grèves dans les raffineries ?

Dans tous les cas, ces moyens supplémentaires sont à confirmer et restent marginaux au regard de la décision de maintenir les aides massives aux transports fossiles, à la fois soutenus par la sous-tarification des routes pour le fret routier (voir la note mobilités) et par de nombreuses niches fiscales, en particulier l’exonération du kérosène (qui coûte plus de 6 Mds €/an(7)) et la réduction sur le gazole non routier (1,1 Md €/an hors engins agricoles), dont l’avantage fiscal devait pourtant être supprimé depuis 2019.

Enfin, les évolutions négatives semblent confirmées s’agissant de la transition écologique de l’agriculture, avec des aides à la production toujours favorables à l’agriculture intensive et une réduction des aides à l’agriculture bio, mise en concurrence avec le faux label « Haute Valeur Environnementale » (voir la dernière partie de la note agriculture).

(1) 7 à 9 Mds € pour le gaz, Sénat PLFR et plus de 18 Mds € pour l’électricité en intégrant 8 Mds de déficit imposé à EDF, mais sans compter les boucliers successifs sur les carburants. (2) Le soutien public aux renouvelables électriques est passé d’une dépense de 5 Mds/an (en 2019-2021) à une recette prévue d’au moins 4,3 Mds/an en 2022 (voir CSPE 2022), en particulier grâce aux contrats sur l’éolien terrestre. (3) Les méthodes et données du gouvernement varient fortement entre le PLF Écologie (programme 345), le rapport de la commission des finances (Fiche 4 II.B2), les dossiers de presse et la délibération de la CRE pourtant citée en référence (ex. prise en compte ou non de la baisse des taxes sur l’électricité, comptabilisation des recettes et reversements des Enr uniquement sur une ou plusieurs années, hypothèses de maintien ou non du bouclier sur l’ensemble de l’année, etc.). (4) Près de la moitié de la croissance de la forêt (hors réserves naturelles) n’est pas exploitée (IGN ADEME 2016), alors que l’absence d’exploitation émet davantage de gaz à effet de serre qu’une exploitation durable (voir Cgaeer 2015 et ADEME forêts et climat 2021). (5) La construction bois ne concerne actuellement qu’environ 10 % des nouveaux bâtiments (et moins de 3 % des tonnes de matériaux pour la construction selon ADEME-CSTB 2019), mais la nouvelle réglementation environnementale – RE 2020 – incite à utiliser du bois ou d’autres matériaux biosourcés afin de réduire les très carbonés plastiques et ciments. (6) La facture énergétique pour les maisons anciennes au gaz de 100 m² était d’environ 1 500 €/an pour environ 20 Mwh/an selon l’enquête Phébus, soit près de 2 000 €/an au prix du gaz actuel (90 €/Mwh contre 70 €/Mwh à l’époque). (7) L’exonération du kérosène pour l’ensemble de l’aviation représente un avantage d’au moins 6 Mds/an, bien supérieur aux 3,6 Mds souvent mis en avant, qui correspondent à l’avantage par rapport à la taxation intermédiaire des jets privés (42 euros/Mwh) et non des autres carburants pétroliers (76 euros/Mwh), voir I4CE 2019 p. 27. L’augmentation de la taxation du kérosène des jets privés permettra au passage de rendre encore plus illégitime cette sous-estimation majeure des dépenses en faveur des fossiles, qui n’est ni fondée juridiquement (la taxation peut s’appliquer sur les vols intérieurs et avec tout pays en accord bilatéral) et encore moins économiquement (pour 99 % de la population, l’alternative au voyage en avion n’est pas le jet privé, mais le train ou la voiture).