Edouard Bouin, administrateur général de Agir pour le climat, réagit aux arbitrages de Julien Denormandie, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, en vue de la future PAC et au projet de loi Climat & résilience actuellement à l’étude au Sénat.

Pourriez-vous rappeler à Monsieur le ministre de l’Agriculture que nous sommes en urgence climatique ? Julien Denormandie semble ne pas avoir eu l’information. Il vient de rendre ses premiers arbitrages sur l’application de la nouvelle politique agricole commune dans notre pays. Il ne change rien ! Il défend le statu quo par souci de stabilité des revenus des agriculteurs. Mais de quels agriculteurs Monsieur le ministre ? Sans majoration pour les 50 premiers hectares et sans plafonnement du nombre d’hectares, ce sont les grands céréaliers et autres producteurs de betteraves qui sont privilégiés. Ceux qui ont obtenu le retour de l’utilisation des néonicotinoïdes interdits par le même gouvernement en 2018. Ceux qui utilisent abondamment les engrais minéraux azotés source principale du protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre puissant. Nous sommes pourtant dans un contexte d’accélération du réchauffement climatique, d’effondrement de la biodiversité et de dégradation de la qualité des sols et de l’eau. La transition agroécologique et la souveraineté alimentaire ne sont, dans la bouche du ministre, que des mots et ne collent absolument pas à la réalité de l’orientation des fonds européens. En France, la PAC, c’est 9 milliards d’euros distribués par an, autant dire un vrai levier pour répondre aux grands enjeux de notre société, pour sortir des impasses tant environnementales que sociales. Mal rémunérés pour leur travail, de nombreux paysans souffrent. Nous risquons de voir les terres agricoles accaparées pour servir des projets agro-industriels qui ne répondront pas à des cahiers des charges favorables à la biodiversité et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
L’éco-conditionnalité est trop peu développée et elle est dévoyée. Ainsi, la Haute valeur environnementale de niveau 3, régime qui rend possible l’utilisation des pesticides, sera rétribuée au même montant que l’agriculture biologique, infiniment plus exigeante dans son cahier des charges et efficace dans la préservation de l’eau, des sols et de la santé. Bon nombre de fermes maraichères, pourvoyeuses d’emplois, ne bénéficieront pas encore des aides PAC. La suppression des aides au maintien en agriculture biologique ne sera pas compensée par le paiement des services environnementaux rendus ; c’était pourtant une promesse de campagne du président de la République. Enfin, les aides au développement des protéines végétales seront bien dérisoires pour mettre fin aux importations de soja, souvent transgénique, destinées à l’alimentation des élevages industriels. Ce système est responsable de la déforestation de l’Amazonie, poumon de notre planète et puits de carbone. Pourtant, le gouvernement lançait en février 2020 un grand débat public pour définir le plan stratégique national de la PAC. 1 876 675 contributions ont été produites par les citoyens et les organisations. Elles ont abouti à 1 083 propositions. Une douche froide pour la majorité des contributeurs, dont notre association, qui ne s’y retrouvent pas. C’est aussi le cas pour la Convention citoyenne pour le climat, qui demandait le relèvement des exigences de verdissement et le passage des aides à l’hectare aux aides à l’actif agricole. Il faut dire qu’au fil du temps, le gouvernement et le parlement ont considérablement dépecé les 149 propositions des citoyens pour la loi Climat et résilience. Le projet de loi arrive maintenant devant les sénateurs. En écoutant le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, le sénateur du Doubs Jean-François Longeot (Union centriste), nous pouvons nourrir quelques espoirs d’amélioration de ce texte par la haute chambre. Il constate, pour Actu environnement, que « Ce texte a grossi mais il n’aborde pas de front certains points et laisse planer un doute sur la cohérence globale de ce texte et son impact carbone. […] Nous avons des mesures normatives à la portée symbolique comme l’interdiction de la publicité par aéronef. L’impact carbone n’est même pas quantifiable. Idem pour l’interdiction des échantillons publicitaires. À l’inverse, de nombreuses dispositions ne sont que programmatiques alors qu’elles ont un potentiel. […] Certains articles s’attaquent au sujet par le petit bout de la lorgnette, comme l’article 4 qui interdit la publicité sur les produits fossiles, une proposition ubuesque. […] Notre méthodologie sera d’analyser le texte article par article et de regarder comment mesurer leur portée réelle au regard des objectifs affichés ». Il compte sur le travail des commissions du Sénat. Agir pour le climat a engagé un travail de contribution qui sera adressé aux présidents et présidentes des commissions concernées par la loi. A titre d’exemple, nous rejoignons le Sénateur Longeot sur la nécessité de revoir les articles produits par les députés sur la taxation du transport aérien ou des engrais azotés. Puisque le gouvernement et les députés de la majorité n’ont pas entendu les citoyens, tentons de l’être par nos sénateurs et sénatrices.