Alors que la pompe à chaleur (PAC) est appelée à jouer un rôle toujours plus important dans la décarbonation des logements, Olivier Sidler, consultant en énergétique, revient sur les conclusions de l’étude qu’il a conduite pour l’Association négaWatt et qui a été publiée en février : la PAC est un formidable outil, qui doit accompagner la rénovation énergétique, non s’y substituer. Si le gouvernement s’est rallié à ces conclusions en écartant tout soutien à l’installation de PAC dans des passoires énergétiques qui n’auraient pas été rénovées de manière performante, il entend favoriser le déploiement de pompes à chaleur « moyenne température » dans les logements de classes C à E chauffés au gaz et au fioul. Cette stratégie entraînera une pointe et une consommation électriques que notre système énergétique n’est pas en capacité de fournir. Pour tenir l’objectif de 8 millions de PAC installées d’ici 2030 visé par le gouvernement, Olivier préconise un ciblage sur les logements construits après 1980 chauffés par effet Joule : l’électricité économisée permettra d’alimenter les PAC installées sur les passoires énergétiques rénovées.

La pompe à chaleur (PAC) est une machine exceptionnelle, seule capable de valoriser une énergie abondante mais inutilisable car « trop froide », en en relevant le niveau de température. En transformant des kWh à 5 °C en kWh à 50 °C, la PAC apparaît comme un outil majeur de la transition énergétique.

En rénovation, elle se substituera au fioul et au gaz, en priorité dans les bâtiments construits avant 1975. Mais cela supposera de produire plus d’électricité en période de pointe, donc d’augmenter la capacité de production du parc électrique. Ce qui pourrait poser problème.

Il faut bien connaître le fonctionnement des PAC pour les utiliser de façon pertinente. Avant tout, une PAC n’est pas une chaudière : plus il fait froid plus la puissance qu’elle peut délivrer diminue. Elle se caractérise par son Coefficient de Performance (COP), qui est le rapport de la chaleur qu’elle fournit à l’énergie électrique qu’il a fallu fournir à son compresseur. Mais ce COP est aussi le reflet des températures de fonctionnement de la PAC : il est inversement proportionnel à l’écart des températures de la source chaude (les radiateurs par exemple) et de la source froide (l’air extérieur par exemple). Le COP et la performance de la PAC seront d’autant meilleurs que la température à laquelle la chaleur sera émise dans le logement sera plus basse : les planchers chauffants seront donc toujours bien plus favorables que les radiateurs à 70 ou 80 °C.

Les PAC peuvent utiliser comme source froide l’énergie de l’air extérieur, celle de l’eau des lacs et rivières ou celle des nappes phréatiques (qui ne doivent pas être trop profondes pour être intéressantes), et elles peuvent utiliser la chaleur du sous-sol. Les meilleures solutions, mais pas les moins chères, sont celles du sous-sol (et nappe phréatique) car leur température est la plus élevée.

Enfin, les PAC « classiques » (qui sont les plus courantes, les plus simples et les moins chères) ne peuvent pas fournir de fluide à plus de 55 °C, ce qui peut poser des problèmes dans les nombreuses installations de chauffage anciennes où les besoins en température sont sensiblement plus élevés. Depuis quelques années, il existe des PAC « moyenne température » pouvant atteindre 70 °C, ce qui ouvre d’autres perspectives. Mais comme leur température de sortie est plus élevée, leurs performances sont dégradées d’environ 20 % par rapport aux PAC classiques et leur coût est le double.

L’association négaWatt a conduit une étude modélisant le parc de logements, par énergie et classe énergétique, et elle a analysé l’incidence de différentes stratégies d’utilisation des PAC sur les passoires énergétiques (les classes F et G) utilisant du gaz et du fioul. Les passoires sont majoritairement des bâtiments d’avant 1975, et elles sont donc équipées pour la plupart de radiateurs dont la température nécessaire à la température extérieure « de base » était alors de 90 °C. Avec le réchauffement climatique cette température est désormais proche de 83 °C. Ce niveau est de toute façon incompatible avec l’utilisation, sans autres dispositions, de PAC « classiques 55 °C ».

L’étude démontre que :

  • Il est impossible d’uniquement remplacer une chaudière par une PAC « classique 55 °C » dans un bâtiment datant d’avant 1975, à cause du niveau de température nécessaire aux émetteurs (plus de 80 °C).
  • À défaut de rénover préalablement les bâtiments, la mise en œuvre d’une PAC « classique 55 °C » suppose de disposer ou de mettre en place une installation de chauffage complémentaire. Cela peut-être des convecteurs électriques, le fonctionnement de la PAC « en relève de la chaudière existante », une PAC hybride (c’est-à-dire une PAC et une chaudière placées sous le même capot). On peut aussi utiliser directement une PAC moyenne température, sans rénover, mais sans garantie que cela fonctionnera.
  • Ces solutions réduisent insuffisamment les émissions de GES, mais surtout elles génèrent de nouvelles consommations d’électricité et des puissances appelées très problématiques par leur importance. Elles ne constituent donc pas une bonne réponse pour la rénovation des bâtiments, en plus d’être très coûteuses.
  • En revanche, si on rénove préalablement les bâtiments pour faire en sorte que la température de départ vers les émetteurs en place ne soit plus 80 °C mais 45 °C, les PAC fonctionnent alors dans des conditions exceptionnelles conduisant à des émissions de GES, des consommations et des appels de puissance extrêmement faibles (pour les logements de classes F et G chauffés par hydrocarbure, on observe une division proche de 100 des émissions de GES et de 15 des consommations d’énergie primaire).
Impacts du remplacement de toutes les chaudières gaz et fioul des logements de classes F&G par des PAC
Impacts du remplacement de toutes les chaudières gaz et fioul des logements de classes f&G par des PAC

Si on se penche sur la baisse de la facture de chauffage des différentes solutions, elle est de 12 % pour la PAC hybride, de 27 % pour la PAC moyenne température et de 83 % pour la PAC classique associée à une rénovation. En d’autres termes, seule cette dernière solution permettrait d’éradiquer la précarité énergétique. Elle aurait aussi le mérite d’exiger très peu de puissance électrique supplémentaire (70 % de la puissance d’un EPR) et consommerait moins de 10 % de la production d’un seul EPR.

On est donc en droit de s’interroger sur la pertinence de la stratégie que semblent mettre en place les pouvoirs publics. Elle consiste en effet à privilégier le remplacement des chaudières gaz et fioul par des PAC moyenne température, sans isolation préalable des logements, et uniquement pour ceux qui sont situés en classes C à E. Si 7,8 M de PAC sont ainsi mises en place d’ici 2030, la puissance électrique de pointe supplémentaire sera de 13,6 GWe (soit l’équivalent de 9 EPR à construire…. d’ici 2030), l’augmentation de consommation électrique sera de 35 TWh (soit 4 EPR), la réduction de GES ne sera que de 28 % de la totalité des émissions du parc résidentiel et tertiaire, le coût sera de 157 Mds€, soit 22,5 Mds€/an, et le coût de la tonne de CO2 évitée de 571 € alors qu’elle se négocie au mieux à 100 € sur le marché du carbone. Enfin, pour le particulier, la facture de chauffage ne serait réduite que de 27 à 30 % selon la classe énergétique du logement, ce qui ne permettrait pas d’éradiquer la précarité énergétique.

Ceci montre bien que la solution technique permettant d’obtenir les meilleurs résultats, mais aussi ceux qui seront les plus durables, consiste à rénover préalablement les logements avant d’utiliser les pompes à chaleur qui travaillent alors dans des conditions leur garantissant des performances particulièrement élevées. Cette solution est aussi la seule à présenter de nombreux co-bénéfices : un confort été/hiver accru, une facture de chauffage réduite de 83% et l’augmentation du pouvoir d’achat, l’éradication de la précarité énergétique, la disparition des pathologies sanitaires (asthme, allergies, etc) dues à la mauvaise qualité de l’air intérieur, la sécurité en cas de crise énergétique avec envolée des prix de l’énergie, etc.

Enfin, il existe un moyen d’effacer en totalité le besoin de puissance et de consommation électriques supplémentaires. Il faudrait pour cela traiter les logements chauffés actuellement par effet Joule construits après 1980. Ils comportent déjà un niveau minimum d’isolation et on pourrait donc simplement les équiper de PAC air/air à détente directe associées à des splits dimensionnés pour une température de 45°C ce qui garantirait de bonnes performances aux machines. On pourrait ainsi diviser par 2,5 à 3 la puissance et la consommation d’électricité absorbée par ces logements. Pour placer 7,8 M de PAC d’ici 2030 en neutralisant les effets sur le réseau électrique, il faudrait augmenter de 16%/an le nombre de PAC air/air dans les logements chauffés par effet Joule, et augmenter de 32%/an le nombre de PAC classiques air/eau placées après rénovation dans des logements de classes E à G chauffés au gaz et au fioul. En 2030, il y aurait ainsi 2,5 M de logements chauffés par effet Joule équipés de PAC, et 5,3 M de logements chauffés au gaz et au fioul rénovés.

Les bilans en puissance, en énergie et en émissions de gaz à effet de serre seraient les suivants :

Bilans en puissance, en énergie et en émissions de gaz à effet

Les gains obtenus dans le remplacement de l’effet Joule par des PAC sont tellement importants qu’ils sont supérieurs aux augmentations consécutives à la rénovation accompagnée de la mise en place de PAC dans les logements chauffés au gaz et au fioul. Il n’y aurait donc pas besoin de construire la moindre centrale de production d’électricité supplémentaire d’ici 2030. Mieux, l’opération dégagerait un excédent en puissance équivalent à 1,5 EPR !

En conclusion, la PAC est bien une machine appelée à jouer un rôle essentiel dans la rénovation des bâtiments, mais pour cela il faudra une stratégie bien construite et basée sur une bonne connaissance du fonctionnement de cette machine si particulière.