A quelques mois des élections municipales, nous vous proposons le regard de Nicolas Desquinabo, expert en évaluation et accompagnement des politiques publiques. Il a notamment dirigé des évaluations de programmes Etat-Région et PO FEDER et a coordonné des évaluations et conceptions de plans territoriaux et régionaux. Il a également dirigé des études sur les politiques d’infrastructures et a participé à des évaluations de politiques dans les domaines de la rénovation des bâtiments, de la précarité énergétique, de l’agriculture et des transports.

Des enjeux massifs et multiples

  • Principal enjeu énergétique en France, la consommation d’énergie des bâtiments représente 45% de la consommation nationale, dont la moitié provient de pétrole et de gaz importés (chiffres-clés 2017). Environ 70% de cette énergie est consommée par les logements, avec un coût croissant mais aux impacts différenciés selon les ménages et types de logement.
  • Au moins 5,6 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique et, parmi eux, plus d’1 million dépensent plus de 10% de leur revenu dans l’énergie de leur logement et souffrent tout de même du froid (Ademe/Onpe/Cstb 2016).
  • En dehors des considérations énergétiques, les rénovations de bâtiments ont des enjeux importants de santé (notamment pour les risques liés à l’amiante et au plomb et à l’habitat indigne en général) et des enjeux d’accessibilité (handicap et personnes âgées dépendantes).

Des objectifs nationaux plutôt ambitieux

  • Depuis 2013, l’objectif national est d’atteindre 500 000 rénovations « performantes » de logements par an (sans définition précise de ce qui est « performant »), dont 250 000 occupés par des ménages « modestes » (les 40% aux revenus les moins élevés) en logements privés (150 000) et sociaux (100 000) ;
  • Ces dernières années, le rythme moyen est d’environ 270 000 logements privés par an (en intégrant les travaux « performants » étalés sur 2-3 ans, Open 2015), dont 50 000 occupés par des ménages « modestes » auxquels s’ajoutent un peu moins de 100 000 logements sociaux ;
  • Depuis 2018, le plan de rénovation des bâtiments a ajouté la perspective de rénover d’ici 10 ans environ 40% des 3,8 millions de « passoires thermiques » (logements avec des étiquettes énergie de F ou G) occupées par des ménages « modestes ».

Des dispositifs nationaux en « mouvement »

  • Pour les propriétaires occupants « modestes » (ex. < à 19 000 € de Revenu Fiscal de Référence pour 1 personne hors Idf, soit ~ 5,4 millions de ménages au total), l’Agence nationale de l’habitat (Anah) propose notamment des subventions couvrant 35% à 60% du coût HT des travaux « énergétiques » (plafonnés à 20 000 euros).
  • Le programme Habiter Mieux a ainsi soutenu 50 000 logements en 2017 et 60 000 en 2018 (dont 9 000 « Agilité ») pour un budget d’intervention de 500 M d’euros/an (principalement financé par la mise aux enchères des crédits carbone industriels depuis 2018) ;
  • Pour ces mêmes propriétaires modestes, les certificats d’économie d’énergie (CEE) « bonifiés » sont cumulables (depuis 2018) avec Habiter Mieux « Agilité » pour les travaux les plus « simples ». En effet, les énergéticiens (ex. EDF, Engie et Total) doivent contribuer à financer ces CEE, dont la valorisation a été augmentée récemment, ce qui a permis le développement des combles puis chaudières « à 1 euro » (pour les ménages « modestes ») ;
  • Les « combles à 1 euro » ont ainsi été utilisées par 80 000 ménages modestes en 2017, soit plus de la moitié des CEE du « résidentiel ». L’ensemble coûtant plus de 500 M d’euros en 2017 qui sont récupérés sur les factures d’énergie (CGEDD-IGF 2014 + UFC 2019).
  • Enfin, le chèque énergie a récemment remplacé les « tarifs sociaux » et couvre dorénavant l’ensemble des types d’énergie, soit environ 6 M de ménages éligibles (vs. 4 M pour les tarifs sociaux du gaz et de l’électricité) et 200 €/an en moyenne (vs. 100 €/an précédemment, hors aides aux impayés) pour des factures dépassant pour la plupart 1000 €/an (Ademe 2013).

Des interventions locales qui peuvent être très efficaces

Les évaluations des programmes locaux complétant les interventions de l’Anah (ex. PIG ou Opah) soulignent en particulier les conditions d’efficacité suivantes :

  • Les aides financières sont particulièrement efficaces pour les isolations des murs, qui se font rarement sans soutien significatif, alors que les aides sont peu décisives pour les chaudières et les fenêtres. Par exemple, jusqu’à 80% des travaux d’isolations des murs dans les copropriétés n’auraient pas été engagés sans aides (Anah/Geste 2017), alors que les effets d’aubaine sont massifs pour les changements de chaudières et de fenêtres (CGEDD/IGF 2017), dont les renouvellements sont périodiques et généralement réalisés sans aide (ex. seuls 8% des utilisateurs du « crédit d’impôt transition énergétique » pour leurs fenêtres ont entrepris des travaux non envisagés, CGDD 2015 ) ;
  • L’accompagnement des ménages modestes dans leurs travaux permet généralement aux programmes locaux d’augmenter les volumes et la qualité des travaux réalisés et est une réponse au problème croissant des fraudes et surfacturations liées aux offres à « 1 euro », comme à l’époque de l’essor du photovoltaïque (CGEDD 2017, UFC 2019 et Douanes) ;
  • Pour les locataires modestes (environ 50% des « passoires thermiques » occupées par des ménages modestes), le levier majeur est de soutenir les travaux d’isolation des copropriétés. Par exemple, les aides du dispositif MurMur à Grenoble a permis de multiplier par 3 à 4 les rénovations « performantes » de copropriétés, en proposant également des aides aux autres copropriétaires (+ou- 4000 euros) et en complétant celles de l’Anah ;
  • Par ailleurs, les soutiens aux bailleurs qui conventionnent et rénovent leurs logement vacant et/ou dégradé permettent également d’accélérer la requalification des centres-anciens, dans le cas d’opérations fortement soutenues par l’Anah (Opah-RU), y compris en dehors des 222 villes retenues pour le programme « Action Cœur de ville » ;

En complément, la lutte contre l’habitat indigne (LHI) est également à combiner avec la lutte contre la précarité énergétique, sachant que l’habitat indigne comporte le plus souvent une composante énergétique (ex. mauvaise isolation causant des moisissures puis des maladies respiratoires, Anses) à laquelle s’ajoutent souvent les risques d’électrocution ou d’effondrement (voir le cas de Marseille…). Notamment lorsque la Ville dispose d’un Service Communal d’Hygiène et de Santé (SCHS), les outils coercitifs sont à la main du Maire (arrêtés d’insalubrité et de péril en particulier) et peuvent être combinés avec les actions incitatives des programmes soutenus par l’Anah (avec des aides renforcées).

Des impacts économiques potentiellement importants

L’évaluation des impacts du programme Habiter Mieux (Anah/Geste 2017), a permis d’estimer à 15 ETP/million d’euros les emplois liés aux travaux (emplois indirects inclus). En particulier les chantiers d’isolation des murs impliquent plus de 9 ETP/million d’euros de dépenses contre 3 à 5 ETP/M euros pour les remplacements de fenêtres ou chaudières. Pour ces derniers types de chantiers, les emplois de fabrication compensent en partie cette différence, mais ce ne sont pas des emplois locaux.

Traiter également le volet mobilité de la précarité énergétique ?

A noter enfin que les ménages modestes sont également captifs de leurs factures de carburant (plus de 5% des revenus de 20% des ouvriers vs. de 3% des cadres, Insee 2015). Compte tenu des niveaux limités des bonus et primes à la conversion au regard des surcoûts des véhicules électriques et hybrides (encore 10 à 15 000 euros après bonus et primes), les ménages modestes aux longs déplacements privilégient toujours les diesels d’occasion, avec des réductions de consommation très limitées. Comme l’a montré l’exemple Norvégien (France Stratégie), le surcoût des véhicules basse consommation doit être proche de zéro pour que ces solutions se diffusent, notamment pour les ménages modestes. Au-delà des chèques régionaux (ex. Occitanie), des aides locales ciblées pourraient rendre plus accessibles de petits véhicules basse consommation pour les ménages les plus modestes.