Ce 4 avril, les experts du groupe III du sixième rapport du GIEC rendaient leurs travaux. Le cap de 0 émission de gaz à effet de serre en 2050, de façon à garder la possibilité de limiter le réchauffement à 1,5 °C à horizon 2100, passe prioritairement par la sobriété.

La tonalité est en phase avec celle du groupe II de février dernier. À la présentation objective des données s’ajoute une mise en garde aux décideurs politiques. Une première avec ce sixième rapport du GIEC. L’écossais Jim Skea, le coprésident du groupe de travail, disait lors de la présentation : « C’est maintenant ou jamais si nous voulons limiter le réchauffement global à 1,5 °C ». Il est bon de rappeler que ce travail sur l’atténuation du climat  est le fruit d’une collaboration de 278 scientifiques. 18 000 articles ont été critiqués donnant lieu à 60 000 commentaires de la part de la communauté. Tout cela sur la base du volontariat. Il n’existe plus de voie pour remettre en cause ce travail colossal. Après un examen pointilleux du document final regroupant les 3 volets, 196 pays ont validé cette somme de 3 575 pages.  Commençons par un état des lieux. Nous ne sommes pas sur la bonne voie, les émissions cumulées de 2010 à 2019 établissent le plus mauvais record décennal depuis 1850 !  Antonio Gutteres, le secrétaire général des Nations unies l’a ainsi analysé : « Un aller simple vers une catastrophe climatique, et ce n’est pas de la fiction ». L’objectif de 1,5 °C pour 2100 se désintègre pour laisser apparaître une moyenne catastrophique de 3,2 °C. Cette trajectoire de la hausse moyenne de la température de la planète serait désastreuse pour une grande part de l’humanité. Nos décideurs vont-ils entendre l’alarme et prendre, d’ici à 2025, le chemin qui permettra de rester sous les 2 °C ? Les émissions nationales varient avec le niveau de vie des habitants. Les 10 % des ménages aux revenus les plus élevés contribuent pour une part que les auteurs qualifient de disproportionnée. Il existe cependant plusieurs constats positifs. Depuis le cinquième rapport, les gouvernements adoptent de plus en plus de textes de loi en faveur de l’atténuation. L’extension de la diffusion d’innovations technologiques faiblement émettrices favorise la baisse de leurs coûts, mais ces derniers restent un frein pour les pays en développement. La numérisation peut contribuer à la réduction des émissions, mais il faut contrôler ses effets secondaires qui peuvent altérer les résultats.  Pour l’industrie, l’atténuation passe par une action sur toute la chaîne de valeur : choix des matières premières, efficacité énergétique, flux de matériaux et d’objets manufacturés, transformations des process de production ainsi que des demandes des consommateurs et du le cycle de vie des produits. Pour le bâtiment, les politiques peu ambitieuses risquent de faire de ce secteur un contributeur de carbone pour des décennies.  À l’inverse, la rénovation permettant l’efficacité énergétique performante couplée à la production d’énergies renouvelables, pourrait contribuer à la réalisation des objectifs dans toutes les régions. Il est important d’adapter les bâtiments aux climats futurs. La demande est un levier pour réduire les émissions des transports : les interventions publiques doivent inciter le passage à des modes de transports plus économes en énergie (collectifs, modes doux).  La technologie en est un autre pour ce secteur : sur la base du cycle de vie, les véhicules électriques (électricité à faibles émissions) offrent le plus grand potentiel. Les biocarburants durables, l’hydrogène à faible émission peuvent participer à l’atténuation pour le domaine maritime, celui de l’aviation et du transport terrestre lourd. Cependant, il nécessite des améliorations des processus de production et de réductions des coûts. La stratégie d’atténuation dans les transports sera bénéfique pour la qualité de l’air et en conséquence pour la santé.
Danger pour la sécurité alimentaire mondiale

Des options d’atténuation appropriées dans le secteur agricole, forestier et des autres affectations des terres peuvent générer des réductions conséquentes d’émission et d’absorption de CO2.

Des options d’atténuation appropriées dans le secteur agricole, forestier et des autres affectations des terres peuvent générer des réductions conséquentes d’émission et d’absorption de CO2. Mais ces capacités de stockage ne peuvent compenser les retards de mise en œuvre d’actions efficaces dans les autres secteurs. Et le changement climatique pourrait engendrer des problématiques de production altérant la sécurité alimentaire. La concurrence sur l’usage des terres serait exacerbée au détriment des espaces naturels, alors que la biodiversité par ses services écosystémiques est une source à l’adaptation au changement climatique.

L’examen profond des dimensions socioculturelle et comportementale est une nouveauté dans les rapports du GIEC. L’atténuation passe aussi par des modifications des comportements individuels. De bonnes mesures axées sur la demande passent par la sensibilisation et l’éducation des consommateurs. Ils sont un levier puissant. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre pourraient être réduites de 40 à 70 % d’ici 2050 par des modifications des usages de l’énergie et cela avec une amélioration du bien-être de base pour tous.

En investissant 100 dollars US par tonne équivalent CO2, nous pourrions diviser par deux les émissions mondiales de 2019 d’ici 2030. L’argent existe, il faut réorienter son usage. Investir pour limiter le réchauffement à 2 °C coûtera moins cher à terme que la nécessité de payer les dommages causés par le changement climatique et les travaux d’adaptation. Les gouvernements et les entreprises doivent investir maintenant. Les acteurs de la finance portent une attention croissante aux risques engendrés par le dérèglement climatique mais ils opèrent trop peu pour faciliter l’accélération de la transition bas-carbone. L’intervention politique est un impératif

Ce sixième rapport dit très explicitement que le temps est compté pour tenir les 2 °C. Cela est possible en changeant d’échelle d’investissement dans les énergies pour l’industrie, les transports, les bâtiments, aussi pour la modification de pratiques agricoles et alimentaires et la protection des écosystèmes. Il est impératif d’amener nos sociétés à des changements culturels profonds. La sobriété énergétique est une clé de la réussite, l’équité sociale en est une autre.