Dans un contexte de transformation profonde, Emmanuelle Wargon, Présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), partage sa vision pour l’avenir énergétique de la France. Cet entretien explore comment la CRE œuvre pour soutenir le déploiement des énergies renouvelables tout en maintenant l’équilibre économique et technique du système. Il met en lumière les ajustements nécessaires face aux nouvelles dynamiques du marché, et l’importance d’une électrification des usages réussie pour atteindre nos objectifs climatiques.

Emmanuelle Wargon, vous êtes Présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Pouvez-vous nous rappeler le statut et le rôle de cette institution ?

Depuis sa création, le 24 mars 2000, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) est l’autorité administrative indépendante (AAI) française de régulation du secteur de l’énergie.

Dans un système européen intégré, la CRE exerce quatre missions principales :

  • Réguler les réseaux et infrastructures d’électricité et de gaz.
  • Garantir le bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz.
  • Opérer les principaux dispositifs de soutien aux énergies renouvelables.
  • Éclairer le débat public sur les grands enjeux énergétiques.

Acteur indépendant, expert en matière d’énergie, la CRE prend en compte les court, moyen  et long termes dans ses décisions au bénéfice des consommateurs et de la société dans son ensemble.

Pour exercer ses missions, la CRE se repose sur trois valeurs cardinales qui guident son action : l’ouverture, l’impartialité et la transparence.

La CRE évalue chaque année le coût du soutien public aux énergies renouvelables, électricité et gaz. Pouvez-vous nous récapituler ces coûts qui sont pris en charge par le budget de l’État et qui ne se retrouvent pas dans la facture d’électricité des consommateurs. Quelle est la part des contrats anciens passés entre l’État et les opérateurs des EnR ? Quelle perspective de décroissance de ces coûts pour le contribuable ?

L’évaluation des CSPE est effectivement une mission qui est confiée à la CRE par la loi. Pour 2025, la CRE évalue le soutien aux énergies renouvelables électriques à 6,2 milliards d’euros et à l’injection de biométhane à 1,1 milliard d’euros. Dans le détail, l’éolien terrestre représente 929 millions d’euros de soutien, l’éolien en mer 586 millions d’euros et le photovoltaïque 3,8 milliards d’euros. Les 900 millions d’euros restants se répartissent entre les bio-énergies (754 millions d’euros) et les autres énergies (146 millions d’euros). 

Les contrats photovoltaïques signés avant 2010 représentent en effet un soutien public significatif, près d’1 milliard d’euros par an pour une production d’environ 4,5 TWh. Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit une révision tarifaire des contrats signés avant 2010 d’une puissance supérieure à 250 kWc. Selon le vote du Parlement, la CRE sera susceptible d’instruire la clause de sauvegarde afin de vérifier les conditions économiques de chaque installation et de proposer l’adaptation du soutien public si cela est nécessaire. Au-delà de cette mesure, l’essentiel de ces contrats devraient arriver à terme entre 2029 et 2032. 

La transition énergétique demande un engagement financier conséquent de l’État. Si nous voulons sa réussite tout en maintenant une continuité dans les soutiens publics, ces derniers doivent être calibrés au plus juste, pour les producteurs et pour les contribuables. La CRE y veille attentivement.

Ces coûts sont calculés, en partie, en comparaison des prix de marché de l’électricité que le développement des énergies renouvelables contribue à faire baisser en diminuant au niveau européen la part du gaz. N’est-il pas paradoxal que la vertu des EnR engendre une augmentation du coût du soutien public à leur développement en France ?

Les prix de marché de l’électricité reflètent l’équilibre entre l’offre et la demande à différents horizons de temps. Compte tenu de la situation actuelle de demande stable avec une offre qui se développe, l’électricité est abondante et les prix de marché sont bas en France. Ces prix bas sont une bonne nouvelle pour les consommateurs, ménages comme entreprises, mais renchérissent mécaniquement le coût budgétaire de soutien aux EnR. Pour la suite il sera nécessaire de trouver le bon rythme de développement des EnR qui évite tout coup d’arrêt brutal préjudiciable aux filières tout en ajustant l’offre à la demande prévisionnelle.

La croissance de l’électricité décarbonnée (nucléaire + renouvelables) est, aujourd’hui, contestée au motif que la consommation d’électricité française augmente peu, ce qui engendre notamment sur le marché de l’électricité des prix négatifs. À qui profitent ces prix négatifs ?

Les prix négatifs ne profitent à personne en tant que tel si ce n’est à quelques consommateurs peu nombreux qui sont extrêmement flexibles. Ce n’est pas un phénomène anormal dans un mix électrique décarboné. En revanche, il faut être attentif à sa fréquence. Nous sommes passés d’une situation où les prix négatifs représentaient 1,2 % en 2021 à 8 % du temps en 2024. Les défis sont doubles : garantir le bon fonctionnement du système électrique et limiter le coût pour le budget de l’État.  Des mesures techniques ont donc été prises pour inciter les producteurs d’énergies renouvelables à arrêter leur production lors des épisodes de prix négatifs, pour les obliger à participer aux mécanismes d’équilibrage du système électrique et pour réduire l’impact sur les finances publiques.  À moyen terme, les prix négatifs posent la problématique de la bonne adéquation temporelle entre les pics de consommation et les pics de production. Nous y travaillons aussi en favorisant les signaux tarifaires et en encourageant le développement du stockage.

La production d’électricité décarbonnée est parfois écrêtée alors qu’elle aurait pu être valorisée en substitution d’énergies fossiles. N’est-ce pas la démonstration du besoin de cohérence entre politique de l’offre d’énergie décarbonnée et développement de l’électrification des usages, transport, bâtiments, industrie, dans le cadre d’une politique d’utilisation rationnelle de l’énergie, d’autant que beaucoup d’usages de l’électricité peuvent être programmés en fonction du caractère variable des EnR ?

À court terme, il faut s’adapter aux nouvelles données de la production électrique. Actuellement, la production solaire permet d’avoir une abondance d’électricité entre 11 et 15 heures. Afin de faire bénéficier les consommateurs de cette production moins chère et de lisser la consommation au cours de la journée, la CRE a décidé d’adapter le système des heures pleines / heures creuses. L’objectif est de supprimer les heures creuses mal placées pour le système électrique (entre 18 et 20 heures par exemple) et d’en déplacer une partie, 3 heures maximum sur 8 au total (5 heures minimum restant placées entre 23 h et 7 h), dans la journée pendant ces heures à forte production.  À moyen terme, il est indispensable  d’encourager la consommation d’énergie décarbonée à la place des énergies fossiles, et donc de l’électricité en soutenant les politiques d’électrification dans les bâtiments, dans les transports et auprès des industriels qui souhaitent décarboner leurs procédés de production.