L’Union européenne n’est pas en voie d’atteindre son objectif climat pour 2030. Dans un premier article, Nicolas Desquinabo et Guillaume Kerlero de Rosbo, de l’Institut Rousseau, ont dressé un constat contrasté pour les sept plus grandes économies européennes. Pourtant, des politiques publiques efficaces ont déjà fait leurs preuves dans certains pays. Des exemples sur lesquels l’UE devrait s’appuyer pour rattraper son retard et atteindre ses objectifs.

Cet article est le deuxième d’un triptyque. Le troisième article, à venir, décrira les montants d’investissement en jeu pour les différents pays étudiés et traitera des enjeux de financement de ces investissements de transition.

Ce qu’il faut retenir :

  • L’Europe est en retard sur ses objectifs 2030 et une forte accélération est nécessaire (cf. article précédent).
  • Pourtant, des politiques très efficaces ont déjà fait leurs preuves et ont permis aux pays concernés d’obtenir de bien meilleurs résultats que les autres.
  • Dans le secteur des transports, l’Autriche et le Danemark ont démontré que doubler les parts modales du ferroviaire et du vélo était réalisable en investissant massivement dans les infrastructures.
  • En matière de rénovation des bâtiments, plusieurs programmes locaux en France ont démontré qu’un doublement d’aides mieux ciblées permet de multiplier par 3 à 5 le rythme de rénovations d’ampleur.
  • Dans le domaine agricole, les surfaces en bio ont dépassé 35 % en Toscane (vs. 10 % en moyenne UE) grâce à des niveaux de soutien 2 fois supérieurs à la moyenne de l’UE.

En bref, des résultats de terrain sont possibles, encore faut-il s’en donner les moyens et assurer le bon accompagnement des acteurs concernés.

Mais alors, combien cela coûterait-il de généraliser de tels résultats ? Quel est le prix de notre ambition climatique ? Est-ce à notre portée ? Ce sera l’objet du 3e et dernier volet de ce triptyque.

Ce qui a marché dans le secteur des transports

Dans le secteur des transports, les exemples de l’Autriche et du Danemark ont démontré que doubler les parts modales du ferroviaire (fret et voyageurs) et du vélo (dans les agglomérations) était réalisable en investissant massivement dans les infrastructures.  

Les très bonnes performances de l’Autriche en matière de rail (15 % et 31 % de part modale pour les voyages et le fret contre 8 % et 17 % dans l’UE) reposent sur un réseau déjà très développé (620 km de lignes/M d’habitants contre 460 km/M d’habitants en moyenne) et des dépenses d’investissement massives de développement et de renouvellement/modernisation (310 €/habitant/an contre ~100 €/habitant/an dans l’UE).

Investissements publics et parts modales ferroviaires

Investissements publics et parts modales ferroviaires

Sources : Eurostat Fret et Voyageurs (parts modales), Road to Net Zero et AP Schiene (investissements infras)

Sur un total de 2,8 Mds €2022/an d’investissements publics dans les infrastructures ferroviaires (pour 9 millions d’habitants, soit 310 € par habitant), environ 40 % sont dédiés aux lignes actuelles et 60 % aux lignes nouvelles. Si la moitié des 1,7 Md€/an investis par l’Autriche dans le développement concerne plusieurs nouveaux tunnels (dont le Brenner, en commun avec l’Italie), le pays développe également des lignes à grande vitesse sur des terrains moins accidentés. L’ensemble doit ajouter plus de 400 km d’ici 2030 pour améliorer encore la capacité et la vitesse du réseau(1). Ces investissements subventionnés à 80 % (contre autour de 60 % dans le reste de l’Europe) sont en partie financés par des péages pour les poids lourds dont le niveau est 2 à 3 fois plus élevé qu’en France(2), ce qui a renforcé la compétitivité du fret ferroviaire, en particulier pour le transport de longues distances.

Dans la région de Copenhague, l’investissement ciblé dans un vaste réseau de voies cyclables confortables, sécurisées et continues a permis au vélo de dépasser 34 % des distances parcourues en 2020 pour les déplacements travail/études. Cette part modale ne concerne pas que le centre-ville mais l’ensemble de l’agglomération, avec un trajet moyen de 11 km en 2019, avant même le développement des vélos électriques(3). Environ un usager sur six de ces véloroutes circulait auparavant en voiture en 2019. L’ambition est d’accentuer encore ce report modal avec plus de 500 km de nouvelles véloroutes prévus au cours des 20 prochaines années dans cette région (dont +400 km prévus d’ici 2030). Ces investissements complètent les 240 km déjà opérationnels en 2023. Plus généralement, le Danemark offre plus de 8 mètres de pistes cyclables (séparées et dédiées aux vélos) et de voies vertes par habitant, soit plus de 8 fois plus qu’en France.

L’extension de ces modèles permettrait de réduire progressivement les flottes de véhicules et leurs coûts associés (de l’achat des véhicules aux carburants, voir chiffrages plus loin).

Le secteur du bâtiment

Dans le secteur du bâtiment, des expérimentations locales en France (notamment en Alsace, en Bourgogne ou en Bretagne(4)) et l’exemple de l’Allemagne (en 2021-2022 avec la 1re version du dispositif “BEG”(5)) ont démontré qu’il est possible d’atteindre des rythmes de rénovations performantes compatibles avec les objectifs climatiques (i.e. dépasser les 2 % du parc immobilier rénovés chaque année). Deux conditions sont communes aux meilleures expériences :

  • Centrer les aides sur les rénovations globales (incluant l’isolation) et non sur les changements de chauffage, à l’inverse de la politique française menée jusqu’en 2024 et de la politique allemande avant 2021 et de nouveau depuis l’été 2022 (les soutiens aux rénovations globales ont alors fortement chuté en faveur des aides pour les pompes à chaleur maintenues à un niveau élevé).
  • Fournir un accompagnement technique systématique et gratuit aux propriétaires des logements. Lorsque les aides sont distribuées sans accompagnement indépendant, cela mène à des travaux non optimaux, voire à de la fraude (voir plus loin l’exemple du Superbonus italien).

Par exemple, les meilleures expériences de programmes locaux en France ont démontré qu’un doublement d’aides mieux ciblées permet de multiplier par 3 à 5 le rythme de rénovations d’ampleur (> à 35 % de gains énergétiques) à la fois pour les maisons et pour les copropriétés :

Hausse du rythme des rénovations d’ampleur dans les “territoires avancés” en France

Hausse du rythme des rénovations d’ampleurs dans les “territoires avancés” en France

Source : La Fabrique de la Cité – Desquinabo, Rénovation énergétique, stratégies pour un changement d’échelle, 2024 et Bilans Anah 2021-2022 | *Hors aides aux copropriétés dégradées.

Ainsi, alors que le rythme des rénovations d’ampleur de maisons de propriétaires occupants était d’un peu moins de 1 % du parc éligible avant la réforme de 2024, les expériences locales les plus ambitieuses menées en Alsace ont dépassé durant plusieurs années 3,5 % du parc éligible par an rénové de manière performante, avec des gains énergétiques moyens autour de 50 %. Pour ce faire, les aides aux travaux ont été augmenté de 50 à 70 % (selon l’ambition des travaux) et les aides supérieures, pour les maisons très dégradées, ont été davantage mobilisées que sur les autres territoires. Le tout avec une information et un accompagnement renforcé des propriétaires occupants, mais également des bailleurs. Les résultats de ces expériences locales ont été confirmés fin 2024 à l’échelle nationale : le doublement des aides ciblées du nouveau dispositif “Parcours accompagné” a déjà entraîné fin 2024 une multiplication par 3 de la demande de rénovations d’ampleur de maisons… avant que le gouvernement ne décide à nouveau de saboter ce rare programme efficace.

De même, alors que le rythme des rénovations d’ampleur de copropriétés était inférieur à 0,5 % par an avant la généralisation des aides “socles” (pour tous les copropriétaires), les expériences locales à Mulhouse et à Chalon-sur-Saône avaient réussi à multiplier par 3 à 5 ce rythme annuel, grâce à des aides socles et des primes au Bâtiment Basse Consommation (BBC) 1,5 à 2 fois plus élevées. Depuis, les aides socles ont été adoptées à l’échelle nationale en 2021 et renforcées en 2024 et le rythme de rénovation d’ampleur des copropriétés (hors copropriétés dégradées) est déjà passé d’environ 0,4 % à 1,2 % du parc éligible par an.

Le secteur agricole

Dans le domaine agricole, les surfaces bio ont dépassé 35 % en Toscane(6) (vs. 10 % en moyenne UE) grâce à des niveaux de soutien 2 fois supérieurs à la moyenne de l’UE. Ces soutiens sont notamment importants pour les grandes cultures, dont les conversions se sont développées avec des pertes de rendements limités sur le moyen terme, voire des rendements supérieurs pour certaines cultures grâce à des techniques et à des rotations de cultures adaptées(7).

D’autres exemples de “politiques exemplaires”, comme le malus au poids des véhicules aux Pays-Bas, ont été utilisés dans le rapport Road to Net Zero pour préciser les soutiens publics nécessaires dans les différents domaines, avec des besoins relativement limités dans certains secteurs (notamment l’énergie) et nettement plus importants dans d’autres (comme la R&D ou l’agriculture).