En plus de stocker du carbone dans les arbres, les forêts le stockent également massivement dans leurs sols. Comment fonctionne ce réservoir si important ? Peut-on stocker du carbone dans le sol pour combattre le changement climatique ?
Article rédigé avec l’Office national des forêts (ONF), et basé sur l’article d’Emila Akroume “Le carbone dans les sols forestiers”.
Comment le carbone est-il stocké dans les sols forestiers ?
Tout d’abord, nous pouvons revenir sur la définition d’un stock de carbone. Pour bien se représenter un stock de carbone, la meilleure image serait celle d’un réservoir, c’est-à-dire une quantité donnée de carbone au sein d’un espace défini. Ce réservoir peut augmenter, si du carbone est absorbé par l’écosystème. Inversement, ce réservoir peut être amené à diminuer, s’il libère du carbone.
La forêt est en fait un double réservoir de carbone : elle stocke du carbone sur le long terme à la fois dans sa propre biomasse (aérienne et racinaire), mais aussi dans son sol. Les sols forestiers représentent un réservoir conséquent, renfermant près de 40 % du carbone organique terrestre.
Si l’on compare les stocks de carbone de différents usages des sols, les sols forestiers sont les réservoirs les plus efficaces, avec près de 90 tonnes de carbone stockées à l’hectare sur les 30 premiers centimètres de profondeur. Les prairies permanentes peuvent stocker jusqu’à 82 tonnes de carbone à l’hectare, les grandes cultures 51, les vergers 46 et les vignes 39. Sachant que les forêts couvrent 32 % du territoire métropolitain, on mesure l’importance qu’elles jouent dans la lutte contre le changement climatique.
Dans le sol forestier, le carbone organique est stocké dans la litière (1) et dans le sol minéral. Le carbone organique est issu de débris végétaux, d’animaux morts et de nécromasse microbienne (champignons, bactéries…). Ces débris sont décomposés en fragments de plus en plus petits par les organismes décomposeurs présents dans les sols : d’abord les vers de terre, cloportes et mille-pattes, puis les collemboles et nématodes, et enfin les bactéries et champignons. Plus le carbone est dégradé, plus il peut migrer en profondeur dans le sol.
Une fois dégradé en composés de plus en plus petits, le carbone organique est présent dans le sol. On parle de pool carbone labile pour qualifier le carbone organique des composés facilement dégradables par l’activité biologique, stocké pour des durées de quelques jours à quelques années. Inversement, on parle de pool de carbone stable pour les composés stockés sur le long terme, parfois plus de 1 000 ans. Il met aussi bien plus de temps à se constituer que le pool carbone labile.
Quel est le rapport avec l’initiative “4 pour 1000”, lancée par la France lors de la COP 21 en 2015 ?
“4 pour 1000” est une initiative internationale, qui invite à augmenter le stockage du carbone dans les sols pour neutraliser les émissions de carbone dues aux activités humaines. Elle souligne le fait que les sols sont de très importants réservoirs de carbone, et qu’augmenter leur stock permettrait de compenser les émissions de gaz à effet de serre issues des autres secteurs, et donc d’enrayer l’emballement du changement climatique. Pour réaliser cet objectif, il suffirait d’augmenter les stocks de carbone dans les sols de 0,4 % par an (soit 4/1000, d’où le nom de l’initiative).
Cependant, cette initiative est surtout applicable sur les sols agricoles, puisqu’il existe de nombreuses pratiques permettant d’augmenter leur stock de carbone (agriculture de conservation, agriculture régénérative, agroforesterie). Les sols forestiers ne peuvent pas aussi aisément faire l’objet de pratiques culturales pour obtenir une augmentation de leur stock en carbone. De plus, ils sont déjà plus riches en carbone. Comme les sols agricoles partent d’un niveau inférieur, la marge de progression est plus importante.
Une étude menée par l’INRAE, publiée en 2020, explore le potentiel de l’approche 4/1000 pour le territoire français. D’après le rapport, “les pratiques stockantes avec les plus forts potentiels de stockage sur l’horizon 0-30 cm sont l’extension des cultures intermédiaires (36 % du potentiel total), l’agroforesterie intraparcellaire (20 % du potentiel total), l’insertion et l’allongement du temps de présence de prairies temporaires (13 % du potentiel total)”. Le rapport n’identifie aucune pratique qui permettrait d’augmenter le stock de carbone dans les sols forestiers. Tout l’enjeu est alors de préserver les stocks existants.
Les stocks de carbone dans les sols forestiers sont-ils perturbés par les pratiques de gestion forestière ?
De nombreuses études analysent l’impact des pratiques forestières sur les stocks de carbone dans les sols. Bien que ces recherches proviennent souvent de régions aux conditions pédoclimatiques (2) différentes (Europe du Nord, Canada, États-Unis), elles révèlent des tendances clés. La plupart des opérations sylvicoles, comme les éclaircies ou la gestion du capital sur pied, n’ont pas d’effet significatif sur le carbone du sol. Seules les éclaircies très intenses réduisent les stocks dans la litière. Les pratiques sylvicoles n’ont généralement aucune incidence sur le stock de carbone : une comparaison entre réserves forestières non gérées et parcelles exploitées n’a montré aucune différence notable dans les 50 premiers centimètres de sol.
L’exception est la phase de renouvellement des peuplements (coupe rase, préparation du sol, plantation), qui est cruciale pour la préservation du carbone. La coupe rase modifie le microclimat (température, humidité), accélérant la décomposition de la matière organique et entraînant des pertes de carbone dans les années suivantes. L’absence de couverture végétale favorise aussi la perte du carbone superficiel par l’eau des pluies qui ruisselle sur la surface du sol (lessivage). Ces pertes, estimées à environ 6 % du stock total, concernent surtout la litière et les couches superficielles, sans affecter les horizons plus profonds. Toutefois, si la coupe rase est combinée à une récolte intégrale des houppiers (3) ou à un travail mécanisé du sol, les pertes peuvent atteindre 20 % des stocks de carbone et toucher les couches minérales.
Enfin, la plantation en elle-même n’est pas néfaste, à condition d’éviter un labour intensif de la parcelle au préalable. Un travail du sol localisé limite les risques de déstockage du carbone. Cependant, de nombreuses incertitudes subsistent, notamment en forêt tempérée, et des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes en jeu et l’influence des différents facteurs (climat, texture du sol…) sur la préservation du carbone dans les sols forestiers.
En savoir plus :
Lire l’article d’Émila Akroume, “Le carbone dans les sols forestiers”.
(1) Litière : ensemble des débris organiques, en cours de décomposition, à la surface du sol.
(2) Pédoclimat : climat du sol. Il désigne l’ensemble des conditions de température, d’humidité et d’aération régnant dans les horizons d’un sol.
(3) Houppiers : dans un arbre, ensemble des branches situées au sommet du tronc.
Sommaire des articles avec l’ONF :
• Panorama des forêts en France
• Les forêts publiques et le régime forestier
• La forêt comme puits de carbone
• L’usage du bois