En septembre 2022, la revue Science publiait les travaux de David Armstrong McKay et ses collègues. Ils concernent la mise à jour de l’évaluation des points de basculement climatique. Dans les années 2000, les experts du GIEC parlaient déjà de ces seuils au-delà desquels le système climatique se modifie de manière abrupte et possiblement de manière irréversible.  En décembre dernier, c’est l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) qui produisait un document sur le sujet : Points de basculement climatique : perspectives pour une action politique efficace.

Les scientifiques ont recensé 16 points de basculement à surveiller. Leur franchissement pourrait avoir des incidences localement, parfois sur de grandes régions du globe, d’autres sur l’ensemble de la planète. Le réchauffement actuel de 1,2° C depuis 1850 engendre la fonte du pergélisol du Grand Nord, celle de la plateforme glaciaire de l’ouest de l’Antarctique et de la calotte glacière du Groenland ; le refroidissement massif de l’Atlantique Nord et la mort massive du corail tropical. À 1,5° C, les territoires Alpins perdront de grandes réserves d’eau par la fonte des glaciers ; la perturbation de la circulation océanique Atlantique aura pour conséquence la baisse des précipitations en Afrique de l’ouest… Et les scientifiques poursuivent en indiquant que la trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre causerait des pluies diluviennes dans les zones de moussons sahéliennes et de l’ouest de l’Afrique ; le dépérissement de la forêt amazonienne ayant pour conséquence la baisse de CO2 absorbé ; l’effondrement du pergélisol libérant du méthane…

Face à ces descriptions angoissantes, sommes-nous démuni.e.s ?

Les pas de temps se resserrent inéluctablement, mais il reste des possibilités de limiter la hausse des températures, voire de refroidir dit une coalition de plus de 200 scientifiques. Le magazine Science et Avenir – la Recherche de février présente certaines de ces solutions.

La production d’énergie de sources renouvelables va connaître une accélération dans les années à venir. Il est évident que la crise énergétique née de l’invasion de l’Ukraine par la Russie contraint à un positionnement différent sur l’éolien et le solaire. Comme l’écrit Rachel Mulot, « Certains économistes appellent cela la théorie du coup de pied aux fesses ». En 2025, au niveau mondial, la production renouvelable dépassera celle du charbon, avec un coût autour de 70 euros le mégawattheure, donc moins cher. En France, le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables doit permettre de combler le retard sur les objectifs. Pour mémoire, les objectifs à 2023 sont de produire 2,4 GW par l’éolien en mer, de 24,1 GW par l’éolien terrestre et 20,1 GW par le solaire photovoltaïque(1). Au 31 décembre 2022, la réalité était de 0,48 GW pour l’éolien maritime, 20,6 GW pour l’éolien terrestre et de 15,7 GW pour le solaire. Les technologies progressent rapidement dans ces deux domaines. L’Agence Internationale de l’Energie voit le solaire comme principale source d’énergie en 2040. En matière de production d’énergie, les sources renouvelables sont bien le chemin à emprunter pour contribuer à la neutralité carbone en 2050.

Dans ces conditions, le plan de relance du nucléaire décidé sans véritable débat interroge. La Commission Nationale du Débat Public elle-même s’en offusque(2). Le gouvernement estimait le financement de 6 EPR à 51,7 milliards  sur une valeur de l’euro de 2020. Maintenant les estimations sont proches de 60 milliards. Aussi, le gouvernement envisage de mettre à contribution les livrets d’épargne des français.e.s (Livret A, Livret de développement durable et solidaire, Livret d’épargne populaire). Le premier EPR serait livré au mieux en 2035.  Le rapport du GIEC d’avril 2022 prône la mise en place de mesures à court terme (horizon 2030) pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050. Les experts indiquent que le rythme de déploiement des nouvelles centrales ne correspond pas à cette obligation. Dans le court terme, la contribution du nucléaire passe par la prolongation en sécurité des réacteurs existants et, avant 2035 voire 2040, seul l’accroissement du parc renouvelable permettra de répondre à l’augmentation de la consommation d’électricité due à l’électrification des usages nécessaire à la décarbonation.

La mobilité est la première source d’émission de gaz à effet de serre

Il faut réduire les distances et rendre accessible à pied, à vélo ou en transport en commun les principales activités du quotidien

Au siècle passé, l’urbanisme a structuré l’espace au profit de certains usages. Celui des automobiles a marqué fortement sa seconde partie. Les rues se sont élargies. En 1957, le code de l’urbanisme conditionnait la délivrance des permis de construire à la réalisation d’aires de stationnement. Ces surfaces goudronnées, sombres, absorbent la chaleur. Ces chaleurs additionnelles des activités humaines créent des microclimats urbains. Ce phénomène engendre parfois une élévation de la température d’une dizaine de degrés dans le cœur des villes par rapport à leurs périphéries, aggravant les risques sanitaires dans les périodes caniculaires. Il faut réduire les distances et rendre accessible à pied, à vélo ou en transport en commun les principales activités du quotidien. Cette vision de l’organisation urbaine « de la ville du quart d’heure » fait actuellement débat. Les risques de gentrification en inquiètent certains. D’autres pointent les risques d’une ville connectée gouvernée par les GAFA. Les risques de la ville programmée sont étudiés par la Caisse des Dépôts.

S’il est évident qu’il faut revégétaliser la ville, il devient urgent de programmer l’isolation massive, performante et globale des bâtiments. Agir pour le Climat porte ce dossier depuis deux ans. Nous appelons à débloquer les financements nécessaires pour amorcer une véritable vague de rénovation énergétique des bâtiments en Europe. Notre travail de plaidoyer commence à recueillir ses premiers fruits. Nous en reparlerons durant ce printemps et vous invitons à soutenir et à diffuser notre pétition Unlock.

Abordée dans le point sur l’urbanisme, la mobilité, première source d’émission de gaz à effet de serre, est un enjeu majeur pour le climat. Cela bouge, le terme de covoiturage devient commun. Celui d’autopartage prend place. Les vélos cargos de livraison se déploient en ville. Les Français marchent plus et utilisent moins leur voiture. La crise sanitaire et le coût de l’énergie ont du bon. La technologie des moteurs électriques évolue rapidement. Elle utilise souvent des aimants permanents contenant des terres rares dont l’extraction et la fin de vie posent de lourds problèmes environnementaux. La volatilité de leur coût amène les constructeurs à chercher d’autres solutions . Les récents progrès permettent d’envisager l’arrivée prochaine de propulsions plus écologiques. La France mise beaucoup sur l’hydrogène pour décarboner ses mobilités et ses industries. La production de ce vecteur énergétique pose le défi de la disponibilité d’électricité renouvelable. Il serait donc judicieux de cibler les usages comme la production d’acier, d’ammoniac et de méthanol, les transports lourds et de longues distances. Nicolas Berghams, expert climat-énergie à l’Institut de développement durable et des relations internationales (Iddri), dans une interview de janvier explique que « L’hydrogène doit être fléché vers les usages sans alternatives ».

L’économiste Christian de Perthuis posait récemment cette question : « Dans la lutte contre le réchauffement climatique, la réduction des rejets de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère est primordiale. Avons-nous porté une attention suffisante aux émissions de méthane (CH4) ? ». L’interrogation est juste. Diminuer maintenant son émission peut permettre rapidement de limiter la hausse des températures. En effet, chaque molécule de méthane reste seulement une dizaine d’années dans l’atmosphère mais a un pouvoir de réchauffement plus de 80 fois supérieur à celle du CO2. En réduisant cette émission au niveau mondial de 45 % d’ici à 2030, c’est 0,3° C qui serait évité rappelle L’Institute for governance and sustainable development (IGSD) en s’appuyant sur des travaux des Nations Unies publiés en 2021. Il faut contraindre le secteur de l’énergie à ne plus laisser ce gaz s’échapper. Mais c’est bien l’agriculture qui est sa source majoritaire . Des bactéries dans les rizières inondées produisent du méthane et les émissions générées par le bétail, notamment par les rejets gastro-intestinaux des bovins et des ovins, sont 4 fois plus élevées. Il faut repenser notre alimentation vers des régimes alimentaires plus riches en protéines végétales. Le troisième gaz à effet de serre, le protoxyde d’azote (N2O), provient très majoritairement de l’usage des engrais de synthèse. Pour mémoire, il faut 1 litre de pétrole pour produire 1 kg d’engrais pur. À masse égale, le N2O a un pouvoir réchauffant 300 fois supérieur au CO2. L’agriculture doit mettre beaucoup plus de légumineuses dans son assolement. Elles captent l’azote de l’air. Pour stocker du CO2, il faut limiter le transport des aliments, recréer des prairies permanentes et du linéaire bocager.

Nous devons agir sur tous ces fronts et vite pour tenir l’objectif de l’accord de Paris qui minimiserait les risques de déclencher des points de bascule climatique. N’oublions pas que la trajectoire actuelle nous dirige vers les 2,8° C !

(1) Sénat – commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
(2) Ouest-France du 13 février 2022.