Nicolas Desquinabo est un expert des politiques publiques. Il réalise une série d’analyses des politiques en matière de transition écologique et énergétique. La série sera intégralement publiée sur notre site internet. Le mois dernier, il a passé au crible les dispositifs d’aide à la rénovation énergétique dans un premier volet (à retrouver ici). Dans ce second volet, il décrypte les politiques d’aides au développement des énergies renouvelables.

Des énergies renouvelables plafonnées et des imports favorisés

En complément de la réduction des consommations (voir la note rénovation), la production d’énergies renouvelables représente un enjeu mondial en termes de gaz à effet de serre, ainsi qu’un enjeu majeur d’indépendance pour les pays comme la France (et la plupart des pays européens). En effet, sur une consommation d’environ 1 700 Twh /an (1), seuls 700 Twh/an sont produits en France (Bilan énergie). Mais, comme les combustibles des électricités nucléaire et thermique sont importés, seuls 320 Twh/an sont produits avec des ressources disponibles en France (en majorité du bois et de l’eau).
Cette forte dépendance stratégique (à 80 % de pays « peu sûrs » du Moyen-orient, d’Afrique et d’ex-URSS) coûte à la France entre 40 et 70 Mds €/an d’importations selon les prix du gaz et du pétrole (Facture énergétique), soit l’équivalent d’au moins 500 000 emplois perdus… jusqu’à la crise actuelle, qui pourrait doubler ces impacts en termes de dépendance, de déficit commercial et d’emploi.

Compte tenu de ces enjeux, les principaux objectifs de la politique de production énergétique sont de :

  • Porter à 23 % la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale en 2020. Soit + 220 Twh/an qui étaient attendus entre 2008 (200 Twh/an) et 2020 (420 Twh/an), avec une hypothèse de maintien de la consommation totale d’énergie à 1 800 Twh/an.
  • Passer de 320 à 500 Twh/an d’énergies renouvelables entre 2018 et 2028 (soit 35 % d’une consommation qui serait réduite à 1 400 Twh/an), avec environ la moitié provenant de chaleur renouvelable (qui passerait de 160 à 250 Twh/an) et l’autre moitié d’électricité renouvelable (de 130 à 220 Twh/an), le reste étant des biocarburants.

Principaux objectifs, montants et résultats des dispositifs de soutien aux énergies

Principaux objectifs, montants et résultats des dispositifs de soutien aux énergies

Sources : Documents budgétaires, Bilan énergétique, CSPE, Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), bilans du fonds chaleur (Cgdd 2018 et Ademe 2019), Uniclima et I4CE 2021 pour le nucléaire 

La dépense publique annuelle s’accroît en moyenne de 0,5 Md d’€/an, avec des subventions engagées sur +/- 15 ans, soit 4 à 8 Mds/an engagés chaque année (avec un prix de marché autour de 50 €/Mwh, ce qui n’est plus le cas depuis 2021), mais qui seront payés sur 15 ans. Compte tenu des engagements des années précédentes et des variations du coût de marché de l’électricité, la dépense publique totale est d’environ 5 Mds en 2020 (voir détails dans « confusions dépenses anciennes et nouvelles »)

Les résultats de cette politique ne sont pas à la hauteur : le rythme d’augmentation des énergies renouvelable est 2 fois inférieur aux objectifs fixés depuis 2008 (+ 10 Twh/an contre + 20 Twh/an visés)… ce qui a conduit à réduire les objectifs pour 2023 et 2028. Ce résultat décevant s’aggrave, alors que :
  • le coût des énergies renouvelables électriques s’est très fortement réduit, et, par conséquent, le besoin de subventions (celles-ci devant compenser le surcoût par rapport au coût de marché de l’électricité, Ademe coût des Enr 2019) ;
  • l’amélioration de la production de bois-énergie constatée en 2010-2014 s’est ralentie malgré un potentiel de + 80 %, y compris en exploitation extensive. En effet, la moitié de la croissance de la forêt (hors réserves naturelles) n’est pas exploité (IGN Ademe 2016), en conséquence de quoi, le gaz reste le principal concurrent du bois-énergie et la première source de chaleur (40 % des 750 Twh/an de chaleur, dont 2/3 pour les bâtiments et 1/3 pour l’industrie).

Les « inversions » : des soutiens devenus limitations et une promotion des imports de gaz

Alors que les énergies renouvelables (Enr) sont devenues nettement moins coûteuses et ne sont pas importées, les soutiens, parfois trop élevés dans le passé (Cour des comptes 2018), se sont transformés en limitations :
  • l’essentiel des soutiens aux renouvelables sont des dépenses « anciennes » : elles ont été engagées avant 2015 pour les premiers parcs éoliens et le photovoltaïque, mais le paiement de ces aides s’étale sur 15 à 20 ans ;
  • ces énergies étant devenues rentables sans aide publique, les soutiens « nouveaux » concernent principalement l’éolien marin et le biogaz. En revanche, les réglementations visent plutôt à limiter le développement des renouvelables électriques, sans toutefois le conditionner à ses impacts économiques nationaux et locaux (notamment pour les éoliennes terrestres) ;
  • enfin, les soutiens au bois-énergie (principale énergie renouvelable pourtant très peu évoquée dans les débats et médias), sont extrêmement limités au regard des besoins (et des impacts positifs des équipements récents) et très inférieurs aux soutiens du gaz, pourtant fossile et importé.
Globalement, les dépenses publiques « nouvelles » engagées pour les énergies renouvelables ont été réduites de plus de 60 % sur 10 ans : les subventions engagées entre 2008 et 2017 représentent environ 6 Mds d’€ par an payés sur +/-15 ans, alors que moins de 2 Mds d’€ de « nouveaux » engagements sur les 15 ans à venir sont prévus entre 2018 et 2028.

Dépenses publiques EnR programmées pendant la période de la PPE, avec une trajectoire de prix de l’électricité atteignant 56 €/MWh en 2008 (Md€)

Dépenses publiques EnR

Renouvelables électriques : plafonnées lorsqu’elles deviennent peu coûteuses

Du côté des renouvelables électriques, la PPE ne prévoit qu’une augmentation de moitié du rythme d’installation de l’éolien marin (+ 6 GW sur 10 ans contre 4 GW sur les 10 ans précédents), alors que son coût a très fortement chuté : de 220 €/Mwh en 2012 à moins de 50 €/Mwh pour le récent appel d’offres de Dunkerque. Or ce prix est équivalent, voire inférieur au prix de marché moyen et ne nécessitera que des montants de subventions limités, voire positifs (!) dans les 20 prochaines années. Les appels d’offres prévus relèvent donc plutôt d’une limitation que d’un soutien à cette énergie renouvelable devenue rentable avec peu de financement public (en France et ailleurs) et qui contribuera, selon la PPE, à la « stabilité du réseau » (car produisant plus de 4 000 heures/an, quasiment comme l’hydraulique et le nucléaire).

Cette limitation est d’autant plus incohérente que le coût de production de la plupart des renouvelables est 2 fois moins élevé que celui des nouveaux réacteurs nucléaires, dont le coût est supérieur à 110 €/Mwh contre moins de 50 €/Mwh pour les différents types d’éolien et les centrales solaires. De plus, ce coût du nouveau nucléaire n’intègre pas les 1,5 Mds €/an de recherche publique (10 fois plus que pour les Enr électriques) et les 9 Mds € de renflouement d’EDF et d’Areva depuis 2017, soit un total de 4 Mds € par an de soutien public sur la période récente (I4CE 2021). Malgré ce soutien, la production nucléaire est en baisse de plus de 20 % depuis 10 ans, principalement en raison des travaux de maintenance et des incidents croissants, qui rendent indisponibles 15 des 56 réacteurs pour l’hiver 2021-2022, les 2 réacteurs fermés à Fessenheim (bilan RTE) expliquant moins de 15 % de cette baisse.

Comme l’éolien marin, le développement de l’éolien terrestre est plutôt entravé au moment où il ne nécessite quasiment plus d’aide publique. En revanche, à l’inverse de l’éolien marin, les impacts économiques de l’éolien terrestre sont minorés par l’absence de condition de « localisation industrielle » : plus de la moitié de la valeur est importée (Ademe 2017), contre moins de 20 % pour l’éolien marin (qui a déjà créé 5 000 ETP avec les 3 premiers parcs). L’impact et l’acceptabilité sociale de l’éolien terrestre souffrent également du peu de projets bénéficiant aux habitants locaux, contrairement à d’autres pays comme le Danemark.

 

Chaleur renouvelable : des soutiens au bois-énergie efficaces mais limités et des imports de gaz favorisés

Du côté de la chaleur renouvelable, le Fonds chaleur a permis de doubler les chaufferies et réseaux de chaleur utilisant le bois en moins de 10 ans (+ 26 Twh/an de chaleur renouvelable dont + 18 Twh/an de bois, Cgdd 2018 et Ademe 2019). Ce dispositif a de loin le ratio « Mwh/subvention » le plus efficient des soutiens aux énergies renouvelables (Cour des comptes 2018). En effet, 70 % des projets soutenus n’auraient pas été engagés sans ces aides, qui ne sont versées que pour l’investissement initial (et non chaque année selon l’écart au prix de marché). De plus, le potentiel de ces aides reste important : la majorité des « clients potentiels » du fonds ne le connaissent pas et les demandes d’aides sont supérieures au budget. Malgré cette efficacité et ce potentiel, les aides totales ont été 2 à 3 fois moins importantes que prévu (+/- 250 vs. 800 M €/an), dans un contexte pourtant défavorable de prix du gaz au plus bas , principal frein au bois-énergie sur cette période (Cgdd 2018 et Ademe 2019).

En complément, le développement du bois-énergie nécessite une amélioration de la mobilisation du bois en forêt, mobilisation peu soutenue  alors que de nombreux freins existent : morcellement de la forêt privé, dessertes insuffisantes, déclin des activités utilisant les parties « massives » du bois (Usages Biomasse). De plus, la moitié de la croissance de la forêt (surtout privée) n’est pas exploitée, alors que l’absence d’exploitation émet davantage de gaz à effet de serre qu’une exploitation durable (sans coupe rase et avec des essences diversifiées) en raison de la décomposition des arbres, de la plus grande fréquence des incendies et de l’utilisation de matériaux et d’énergies nettement plus polluants que le bois, en particulier le béton et le gaz (Cgaeer 2015).

Ces résultats des politiques de soutien à la biomasse ont donc été obtenus alors que les budgets sont minuscules et que le concurrent « chauffage au gaz » a bénéficié d’avantages plus de 10 fois supérieurs dans le cadre plus général des politiques de « petites transitions » (ici les « chaudières à 1 euro », voir note rénovation) et de non-régulation des tarifs (accentuée par le gel de la contribution carbone du gaz en 2018). 

Soutiens et avantages publics comparés du bois-énergie et du gaz

Soutiens et avantages publics comparés du bois-énergie et du gaz

Sources : Projet de loi de finance 2019 – dépenses fiscales et bilan énergie  

* La hausse prévue était de + 40 €TCO2, soit +10 €/Mwh (le gaz émettant 0,25 TCO2/Mwh)
** 10 €/Mwh x ~350 millions de Mwh de gaz (hors « gros consommateurs ») ~ 3,5 Mds €/an d’avantage en 2022

À l’échelle des décisions « individuelles » d’investissement, les prix « professionnels », qui étaient en faveur du bois au début des années 2010 (+/- 20 vs. 30 €/Mwh) sont devenus similaires en 2017-2019 compte tenu de l’absence de régulation des tarifs et avantages fiscaux du gaz. Même avec le supplément de taxe carbone prévu (finalement abandonné), la concurrence du gaz était identifiée en 2018 comme le principal frein au développement des chaufferies bois (Ademe coût des Enr 2019). Le gel de la taxe carbone a donc aggravé cette concurrence, d’autant plus qu’un prix similaire du combustible implique un coût global plus élevé pour les chaufferies bois, plus coûteuses à installer. Ce surcoût de l’investissement est variable, mais peut être très important dans le cas d’un gros bâtiment. Par exemple, pour une puissance de 1 000 KW, l’investissement dans une chaufferie bois coûte +/- 500 000 € (Ademe/Perdurance 2009) contre +/- 100 000 € pour une chaudière collective gaz de même puissance.

À l’inverse de ce « laisser faire », certains pays, ayant rendu prévisible une augmentation progressive du prix du gaz, ont eu des résultats impressionnants (voir note « alternatives » Suède à venir). Importé et fossile, le gaz est donc étrangement soutenu par des avantages publics et une absence de régulation des prix, et bénéficie encore d’investissements massifs de la part de multinationales, dont Total, qui le camoufle derrière un label « renouvelable et électricité » destiné à être confondu avec « favorable au climat ».

Les incohérences des soutiens au chauffage électrique

Autre « concurrent » du bois-énergie, le chauffage électrique est également davantage soutenu que le chauffage au bois, en particulier dans les logements : plus de 1 Md€/an de primes (Certificats d’économies d’énergie (CEE)  et TVA réduite pour les pompes à chaleur (PAC)), contre moins de 0,5 Md€/an pour le bois-énergie (y compris dans l’industrie). Au-delà d’un rapport coût/efficacité moins performant, ce choix interroge sur la cohérence des politiques de rénovation énergétique et de production d’énergie. En effet, la diffusion du chauffage électrique rend nettement plus coûteux et complexe le « mix électrique » capable de couvrir les « pics » de consommation les jours de grand froid, sachant qu’un tiers du « pic de consommation électrique » français (35 des 90 GW) est déjà lié à la très forte diffusion du chauffage électrique dans les bâtiments. Cette situation très atypique et très coûteuse (des centrales sont construites principalement pour ces quelques semaines de pics), explique que la France est de loin le pays le vulnérable en Europe : dans les autres pays, les pics de consommation sont de 25 à 60 % inférieurs (bilan RTE).

Étrangement, les récents scénarios de RTE soulignent les contraintes et coûts élevés associés à ces « pics » de consommation électrique (avec ou sans « nouveau » nucléaire d’ici 2050), tout en prévoyant une diffusion du chauffage électrique de 35 % des bâtiments… à 70 % en 2050 (p.62-66 du Bilan RTE), l’ensemble de ces scénarios étant basés sur un maintien de la majorité des « grilles pains », un rythme peu élevé des rénovations « performantes » et une forte diffusion des pompes à chaleur (les PAC étant certes plus performantes en moyenne que les convecteurs, mais avec une performance qui décroît fortement avec le froid, et donc durant les pics de consommation, ce qui est souligné par RTE dans le même document (p. 98) et par d’autres études). Les PAC devraient donc être uniquement installées dans les logements bien isolés ou récents (notamment avec chauffage au sol), sous peine d’accroître le pic électrique… et la facture d’électricité des ménages. À l’inverse, les politiques de « coups de pouce » ont diffusé les PAC dans les maisons peu isolées de ménages modestes… souvent en substitution à des travaux performants d’isolation (voir note rénovation).

 

(1) 1 Twh (Térawattheure) = 1 milliard de Kwh (Kilowattheure) ou 0,085 Mtep (Millions de tonnes équivalent pétrole).