Le jeudi 15 octobre 2022, le parlement européen adoptait en séance plénière une résolution d’urgence portant sur « les violations des droits de l’homme en Ouganda et en Tanzanie en lien avec les investissements réalisés dans des projets fondés sur les énergies fossiles ». Cette prise de position fait suite à un rapport produit par quatre député.e.s, dont Pierre Larrouturou, co-fondateur de l’association Agir pour le Climat.

Du 24 juillet au 1er août 2022, Maria Arena (S&D, Présidente de la Sous-Commission Droits de l’Homme), Katalin Cseh (Renew), Malte Gallée (Verts/ALE) et Pierre Larrouturou (S&D) ont sillonné l’Ouganda afin de rencontrer les personnes impliquées ou touchées par les projets pétroliers de TotalEnergies. La mission confiée par les député.e.s européen.ne.s à leurs collègues avait pour objectif de les renseigner sur l’impact environnemental et sociétal de deux projets : le premier appelé Tilenga concerne l’extraction de pétrole et son raffinage en Ouganda ; le second nommé EACOP (East African Crude Oil Pipeline) porte sur l’acheminement des produits pétroliers raffinés par oléoduc depuis l’Ouganda jusqu’au port de Tanga en Tanzanie, sur une distance de 1 443 km.

Tilenga devrait aboutir à 419 forages dont 132 se trouveront dans le parc naturel national Murchison Falls. L’oléoduc EACOP traversera, dans les deux pays, des réserves et aires faunistiques et floristiques protégées, dont certaines espèces sont sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Sur ces projets, TotalEnergies, opérateur principal avec 56,67 % des parts, est associé à l’entreprise d’état chinoise China National Offshore Oil Corp (CNOOC) qui détient 28,33 % des parts (la Compagnie nationale pétrolière ougandaise détient le reste des parts, soit 15 %). Comme pour TotalEnergies, la planète est le terrain de jeu de China National Offshore Oil Corp : Canada, États-Unis, Angleterre, Golfe du Mexique… et surtout l’Afrique.

Plusieurs points doivent retenir notre attention :
Tout d’abord, les entreprises pétrolières minimisent les risques de pollution des lacs Victoria et Albert, sources d’approvisionnement en eau potable d’environ 40 millions de personnes. Les infrastructures réalisées pour ce projet (routes, aéroport) pourraient malheureusement être utilisées pour la réalisation d’autres puits d’exploitation pétrolifère dans la région.

D’autre part, les modalités d’accaparement des terres par TotalEnergies posent de sérieuses questions sur le respect des droits de propriétés et humains. Près de 118 000 personnes sont directement affectées par les deux projets. Les député.e.s européen.ne.s rapportent les propos d’un leader communautaire, habitant le district de Buliisa où se trouveront la majorité des forages : « Je suis ici en train de me cacher à cause de TotalEnergies, à cause du harcèlement que Total me fait subir […]. Puis autre chose, quand je suis rentré de France, quelqu’un m’a appelé du district de Buliisa […] ils m’ont dit que si nous gagnons le procès en France(1), ils vont nous tuer, ceux qui n’ont pas signé les terres, surtout moi et [XXX], et ceux qui n’ont pas signé les terres. Donc, je vis maintenant dans la peur. C’est pourquoi je ne peux pas rester avec ma famille ou faire quoi que ce soit, je ne peux même plus travailler. Parce que dès que je commence quelque chose, ils commencent à me suivre ». L’équipe de Cash Investigation de France 2 rapporte que les militants locaux qui s’opposent aux projets de TotalEnergies subissent de fortes pressions. L’un d’eux, responsable d’une ONG locale, qui se bat pour un dédommagement juste des personnes expropriées, s’est retrouvé près de deux mois en prison. Après avoir été libéré, il est de nouveau en prison depuis quatre mois.

Les communicants de TotalEnergies n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser des moyens très douteux. Pierre Larrouturou raconte : « À chaque fois qu’on dit qu’il y a des familles de paysans qui souffrent, qui n’ont pas de quoi vivre, ils nous expliquent qu’il y a Judith qui revit grâce à Total ». Les député.e.s sont invité.e.s à rencontrer cette dame. Judith explique qu’elle est maintenant heureuse grâce à Total et son dédommagement : elle produit du miel et ses 7 enfants sont scolarisés dans des écoles privées. Mais Pierre Larrouturou garde le bon sens paysan de ses origines béarnaises : ne voyant aucune abeille en vol et n’entendant aucun bourdonnement, il veut s’approcher des ruches. L’un des responsables de Total l’arrête alors : « attention Pierre, n’allez pas trop près parce que vous allez être piqué ». Dès potron-minet le lendemain, Pierre et ses collègues, libres de leur escorte de la multinationale, retournent chez Judith. Pierre avait deviné le mensonge de Total : les ruches sont vides, Judith n’est pas dans le village ! Il n’hésite pas à dire : « je crois que toute la stratégie de Total est basée sur des énormes mensonges. C’est juste scandaleux, moi j’en ai honte ».

La construction et le fonctionnement pendant 25 ans de l’oléoduc chauffé émettront 379 millions de tonnes équivalent CO2. Cela ne devrait représenter que 2 % de l’ensemble des émissions à terme de cette exploitation pétrolière (raffinage, transport et utilisation). Il apparaît clairement que TotalEnergie s’assoit sur la neutralité carbone en 2050 et le bien-être des habitant.e.s de notre planète pour cette seconde partie du siècle que nous vivons.

En janvier, la revue scientifique Science présentait les conclusions d’une étude concernant la compagnie pétrolière Exxon. Dans les années 1970, ses experts apportaient au groupe pétrolier des connaissances exactes sur le changement climatique. Pourtant, le groupe l’a longtemps nié. Il nous faut dénoncer le cynisme de ces entreprises et de leurs dirigeants. Rappelons-le, les sources fossiles d’énergie doivent maintenant rester dans les sols. Face à cette immoralité coupable, notons que 24 banques et 18 compagnies d’assurance ont refuser de s’associer au financement du projet de TotalEnergies.

Concernant le continent africain, Agir pour le climat défendait, dès sa création, l’importance d’un plan Marshall pour le développement décarboné de l’Afrique, car seul un nouveau modèle de développement en Afrique assurant la croissance économique et s’appuyant sur des ressources faiblement carbonées pourra permettre d’assurer un destin commun souhaitable entre l’Europe et l’Afrique. Le déficit d’activités productives et génératrices de revenus dans les zones rurales d’Afrique, là où la croissance de la population est la plus forte, génère un exode rural contribuant à la croissance urbaine non maîtrisée, à des mégapoles dépourvues de services essentiels et à des migrations internationales subies.

(1) Le mercredi 7 décembre 2022, au tribunal judiciaire de Paris, TotalEnergies pour ce projet répondait aux plaintes de 6 ONG. L’ordonnance a été mise en délibéré au 28 février 2023.