80 % des français ont « une vision sombre des conséquences du réchauffement climatique »  et sont 75% à considérer que la France doit agir. Mais quelles attitudes adoptent-ils lorsque les politiques publiques climatiques mises en place touchent à leurs quotidiens et à leur pouvoir d’achat ?

Antoine Dechezleprêtre, Adrien Fabre et Stéfanie Stantcheva, économistes du Conseil d’analyse économique (CAE) ont remis cet été une note intitulée « Les Français et les politiques climatiques » à la Première ministre. Ce travail a pour objectif de sonder comportements et attentes des citoyens envers les mesures politiques de transitions écologiques afin de mieux y répondre. Voici une synthèse de l’enquête.

Parmi les enseignements de l’enquête, nous pouvons retenir que nous demeurons frileux à modifier nos modes de vie. Sur la mobilité par exemple, si seulement 46% des enquêtés disent pouvoir disposer de transports en commun, 9/10 utilisent au quotidien une voiture ou une moto. Nous avons conscience que le dérèglement climatique est là, nous intégrons que les canicules seront plus nombreuses, les sécheresses plus préoccupantes, la hausse du niveau des mers une réalité… Mais nous rechignions à laisser la voiture au garage, réduire notre consommation de viande de bœuf, isoler nos logements et nous désirons une climatisation pour affronter les fortes chaleurs.

Cependant, nous sommes 6/10 à dire qu’il est « très important » que les plus riches montrent l’exemple pour leur emboîter le pas, que nous prendrons notre part si notre entourage fait de même, qu’un soutien financier suffisant est nécessaire pour permettre à chacun de changer ses pratiques. La mise en œuvre de politiques publiques ambitieuses apparaît également comme un facteur déterminant pour encourager l’individu à adopter un mode de vie décarboné. 

Les auteurs de la note ont observé la perception des enquêtés concernant les politiques publiques du Green Deal de la Commission européenne et de la Stratégie nationale bas carbone du Gouvernement français, notamment sur les points suivants : investissements d’ampleur (énergies renouvelables, transports en commun, rénovation thermique, agriculture), une taxe carbone appliquée à tous les secteurs (10 centimes de plus par litre pour les carburants) compensée par une redistribution de 160 € par an et par adulte et l’interdiction de la ventes de véhicules thermiques neufs à l’horizon 2030 remplacés par des électriques et à hydrogène.

Les Français reconnaissent l’effet incitatif de ces mesures mais ils sont aussi majoritaires pour relever leur coût. Ils se partagent équitablement pour voir positivement ou négativement les effets sur l’emploi et l’économie. Et s’ils sont une majorité à considérer les politiques climatiques comme socialement injustes, régressives et ayant un impact négatif sur la vie des ménages, les sondés deviennent favorables à ces mesures lorsqu’elles sont accompagnées d’une redistribution des recettes. Les Français pourraient par exemple soutenir une taxe sur les carburants augmentant le prix de 10 centimes, si l’argent récolté est redistribué aux ménages les plus précaires ou s’il est utilisé pour financer des alternatives décarbonées.

gilets jaunes taxe carbone

Une augmentation du prix des carburants, qui a provoqué le Mouvement des Gilets jaunes en 2018, pourraient être aujourd’hui acceptée par une majorité des Français, s’ils l’estiment socialement juste.

L’un des intérêts de cette étude réside sur l’effet positif d’un travail pédagogique. Dans un second temps, les chercheurs ont présenté aux enquêtés une vidéo Impacts et politiques présentant « des animations graphiques accompagnées par une voix qui présente des informations nuancées et impartiales ». Les effets de l’information sur les propriétés des mesures sont significatifs, 12 à 15 % des répondants modifient favorablement leurs réponses.

Ce travail montre que des Français correctement informés soutiennent la proposition d’interdire les véhicules les plus polluants des centres-villes (37% plutôt favorable et 19 % très favorable), le déploiement d’une taxe carbone finançant des projets d’infrastructures vertes (41 % et 24 %). Pour les politiques relatives à l’alimentation, les répondants sont favorables (31 % et 21 %) à des subventions pour les productions de légumes, fruits, et fruits secs issus d’agriculture biologique et locale et sont une majorité à se dire favorable à une interdiction de l’élevage intensif de bovins (28 % et 27 %).

Au regard de l’action Unlock dans laquelle notre association est fortement engagée, nous voyons d’un bon œil l’adhésion à l’obligation de « rénovation thermique assortie de subventions » (18% très favorables et 46 % plutôt favorables).

Les Françaises et les Français dans une large majorité comprennent la nécessité d’appliquer rapidement des mesures en faveur de l’atténuation du dérèglement climatique, mais ils expriment la demande que leurs attentes et leurs préoccupations soient prises en compte. L’acceptation passe par la compréhension, la coopération et la négociation, disent les auteurs de cette note. A ce titre, la Convention citoyenne pour le climat fut un moment d’intelligence collective. Malheureusement, le Gouvernement de l’époque n’a retenu que seulement 10% de ses propositions.

Un autre point important de cette note concerne l’information des citoyens sur le fonctionnement et les effets des politiques climatiques. Il semble bien que cette préoccupation traverse la société. Le rapport Jouzel exprime les mêmes recommandations. Les rédacteurs proposent de confier cette mission au Haut conseil pour le climat, en lui octroyant évidemment les moyens à la hauteur de la mission.

Enfin, ce travail confirme avec force le postulat selon lequel la transition écologique ne se fera pas sans justice sociale et qu’elle doit être placée au cœur des politiques publiques par les décideurs. Ainsi, les recettes d’une taxe carbone, celles sur les énergies fossiles et d’éventuelles nouvelles taxes environnementales devraient être affectées au financement de la transition énergétique et permettre de compenser l’affaiblissement du pouvoir d’achat des ménages les plus vulnérables.