Quatre ans après son dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) publie un nouvel état des lieux sur le réchauffement climatique en cours. Jean Jouzel, qui a longtemps été vice-président du groupe scientifique, tire une fois encore la sonnette d’alarme. Interview.

Le dernier rapport du Giec s’inquiète de la situation encore dégradée du climat de la planète. Une fois de plus… ?

Cela fait une trentaine d’années que des scientifiques alertent sur le réchauffement de la planète, et oui, malheureusement, ils avaient vu juste. On commence aujourd’hui à percevoir concrètement les premiers effets de ce phénomène. Non seulement tout est conforme à ce qui avait été prévu, mais en plus, les phénomènes que l’on observe actuellement (intensification des sécheresses, des ouragans…) ne sont rien par rapport à ce qui nous attend dans les prochaines années.

Le pire reste donc à venir ?

Oui, dans pas très longtemps… Il faut bien avoir en tête que le changement climatique, désormais, ne concerne pas les « générations futures », mais bien des jeunes qui sont déjà nés. Pour éviter à ces jeunes un climat dans lequel il leur serait difficile de vivre, j’estime qu’il ne nous reste que trois ans pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre. Nous n’avons pas le droit de laisser les bras. Nos générations font preuve d’un grand égoïsme.

N’en avez-vous pas marre de tirer – en vain − la sonnette d’alarme depuis tant d’années ?

En fait, j’étais assez optimiste après la signature de l’accord de Paris[signé à l’issue de la COP21, NDLR]. J’ai eu l’impression qu’un cercle vertueux était en train de se mettre en place. Mais le retrait des Etats-Unis a jeté un coup de froid. Il est difficile de réclamer à tous les pays du monde un effort alors que le deuxième pays émetteur quitte le bateau…

La France, elle-même, ne prend pas totalement sa part dans ce combat. Emmanuel Macron a pris à son compte l’accord de Paris au niveau international, c’est très bien. Mais il faudrait qu’il soit moteur en la matière également au niveau européen, et que la France aille au-delà des discours.

Dans de trop nombreux secteurs, notre pays ne respecte même pas les objectifs qu’il s’est pourtant lui-même fixé dans la loi de Transition énergétique de 2016. Des textes formidables sont votés, mais ils ne sont pas respectés. Le problème de la lutte contre le réchauffement, c’est qu’il y a toujours d’autres priorités…

Que faudrait-il faire ?

Avec Pierre Larrouturou, nous militons pour un pacte finance-climat. Lors de la crise financière, 1.000 milliards d’euros ont été mis sur la table pour sauver les banques au niveau européen. Nous proposons que le même montant − soit 2% du PIB européen − soit mobilisé pour sauver le climat.

Ce pacte serait financé par de la création monétaire et un impôt sur les bénéfices des entreprises, et devra permettre de diviser par 4 les émissions de CO2 et de créer des emplois dans les secteurs de la transition écologique. Les technologies, désormais, existent. Il faut juste que les Etats reprennent la main.

La France doit-elle montrer l’exemple?

Il n’y a qu’à l’échelle européenne que ce combat a un sens : les émissions françaises représentent moins de 1,5% des émissions mondiales, alors que l’Europe, c’est 10% de ces émissions mondiales. Notre continent doit montrer le chemin. Je suis d’ailleurs convaincu que le pays qui prendra le leadership sur la transition écologique sera la véritable puissance de demain. J’aimerais que ce soit l’Europe, qui manque tant de grands projets. Mais si on ne fait rien, je crains que ce soit plutôt la Chine.

Ne faut-il pas aussi revoir notre mode de développement, comme l’a suggéré Nicolas Hulot, lors de l’annonce de sa démission ?

Nicolas Hulot a raison : il faut changer la manière dont on se déplace, dont on se chauffe, dont on s’alimente… C’est, plus largement, le modèle sur lequel est basé le commerce mondial qui pose à mon sens problème : les règles de l’OMC [Organisation mondiale du commerce]ont pour objectif de maximiser les échanges, alors qu’il faudrait plutôt tendre vers une relocalisation des activités.

Le monde sans carbone n’est pas celui vers lequel nous conduit pour l’instant ce capitalisme. C’est d’autant plus problématique que nous ne sommes pas tous égaux face au changement climatique : les pays les plus vulnérables à l’élévation des températures sont les pays parmi les plus pauvres. Et au sein des pays développés occidentaux, les populations les plus vulnérables sont, là aussi, les plus pauvres.

Propos recueillis par Sébastien Billard

 

Lire l’article sur l’OBS https://www.nouvelobs.com/planete/20181003.OBS3374/climat-il-ne-nous-reste-que-trois-ans-pour-inverser-la-courbe.html